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lundi 27 septembre 2010

On revient à la médecine du travail instituée par Pétain

Passé en douce en même temps que la réforme des retraite, les médecins du travail reporterons directement aux entreprises. Difficile dans ces conditions de dénoncer les conditions de travail dangereuses. Des affaires comme l’amiante ne risque plus de sortir…

A Lire dans Le Monde:

Gaspard : Pourquoi le fonctionnement de la médecine du travail a-t-il été amendé au milieu d'un texte sur la réforme des retraites ? En aviez-vous été informé ?

Bernard Salengro : Non. On nous avait annoncé une réforme, mais qui viendrait après la réforme des retraites, qui serait publique, annoncée. Alors qu'on a eu un amendement glissé en dernière minute, en catimini, comme si on avait honte de la zizanie qu'on faisait.

L'amendement est essentiellement l'amendement 730, déposé par le gouvernement, qui transforme le service de santé au travail, qui était un service protecteur des salariés, en un service protecteur des entreprises.

guillaume : Comment en est-on arrivé à cette dérive ?

De façon tout à fait logique. Parce que c'est ce que les employeurs demandent depuis toujours.

Reprenez les éditoriaux du Dr Georges Clemenceau, l'homme politique qui était médecin du travail, dans L'Aurore, en 1906. Il disait déjà, pour défendre la reconnaissance de la maladie du plomb : les médecins du travail sont considérés comme des gêneurs par les employeurs.

Et il y a toujours eu la pression des salariés pour que les médecins du travail les protègent – c'est ce qui s'est passé en 1946 – et la pression des entreprises pour que les médecins du travail les aident à rentabiliser le système.

La tentative du Medef sur les députés UMP et sur Eric Woerth, le ministre du travail, a réussi, puisqu'ils présentent textuellement la demande du Medef qui avait été présentée il y a deux ans aux organisations syndicales et que toutes avaient refusée à l'unanimité.

C'est aussi simple que de dire : on va organiser la lutte antidrogue en la confiant aux dealers. Ce n'est pas possible, ça ne marche pas.

Kristoff : Quel est le danger véritable de cette réforme pour les salariés ?

C'est qu'au lieu d'avoir un système de protection, ils vont avoir un système de manipulation. Et sous couvert d'un affichage sympathique, la santé au travail, on va avoir des professionnels pour lesquels on pourra se poser des questions de confiance, d'indépendance, de confidentialité, et de réalité de leur aide.

C'est tellement facile de dire à une personne qui a une surdité que c'est dû au fait qu'elle va trop en boîte de nuit, ou à une personne atteinte d'un cancer du poumon que c'est dû au fait qu'elle fume trop et non pas à l'amiante qu'elle a manipulé toute sa vie.

Charles-Hubert de Girondi : Quels sont les moyens dont disposent les médecins du travail pour se protéger d'éventuelles pressions des employeurs ?

Aujourd'hui, le médecin du travail, pour être indépendant, a plusieurs cordes à son arc. L'indépendance, ce n'est pas l'absence de pressions, c'est plus l'équilibre des pressions. Dans l'entreprise, l'équilibre des pressions, c'est l'équilibre entre les pressions des employeurs et celles des salariés. C'est pourquoi l'indépendance des médecins du travail est facilitée lorsque la représentation des salariés est organisée et facilitée.

Par ailleurs, le médecin du travail est un salarié protégé, que l'on ne peut licencier qu'avec l'accord d'une représentation des salariés à la Commission de contrôle des services ou le comité d'entreprise, avec l'accord de l'inspecteur du travail, et celui du médecin inspecteur du travail. C'est dire s'il est protégé.

Rouletabille : Vous n'exagérez pas un peu en prétendant que la protection des salariés est remplacée par la sécurité des employeurs ?

Je ne pense pas exagérer. Le système de médecine dans les usines existe depuis longtemps. C'était une médecine sous l'autorité de l'employeur, chargée d'optimiser le matériel humain par la sélection, par l'entretien. C'est la médecine du travail avec sélection génétique instituée par Pétain.

A la Libération, on a repris les outils et les hommes en leur donnant un objectif opposé – cela a été voté à l'unanimité des députés : éviter toute altération de la santé du fait du travail.

Avec cet amendement, on retourne vers le système de Pétain, car les médecins du travail avaient une indépendance garantie par la loi, protégés contre le licenciement par l'inspecteur du travail, et bénéficiant d'un agrément renouvelé tous les cinq ans par l'autorité des services déconcentrés du ministère.

Tout cela saute au profit d'une mention indiquant que c'est sous l'autorité de l'employeur. On imagine que la direction du poulailler par le renard n'est pas une grande garantie...

SOS : Quelle est la position de l'Ordre des médecins sur cette question ?

La position de l'Ordre des médecins, que j'ai sollicité il y a dix jours, quand l'amendement est sorti, a été de reprendre sa déclaration de juin dans laquelle il dit son opposition avec la loi qui vient d'être votée.

Si vous regardez le site du Conseil national de l'ordre des médecins, à la date du 16 septembre, il y a un texte qui dit que l'Assemblée nationale a voté une importante réforme de la santé au travail, le texte ne répond pas aux attentes des salariés, ni aux nécessités de l'exercice des médecins du travail dans le respect de leur indépendance technique.

Le médecin du travail doit être le coordonnateur de l'équipe de santé pluridisciplinaire. Et l'intervention de médecins non spécialisés en médecine du travail doit se faire au sein du service de santé au travail, sans être déconnectée de la connaissance du milieu de travail et des postes de travail.

Ils disent qu'ils s'étonnent de l'absence de toute concertation, ce qu'ils regrettent vivement, alors qu'ils demandent depuis six mois à être reçus par le ministère. Dans ces conditions, ils ne peuvent qu'émettre une vive protestation.

Pierre Farce : De quels moyens disposent les professionnels et les syndicats pour s'opposer à cette évolution de la médecine du travail ? On en parle peu.

Le fait qu'on en parle peu, c'est ce que voulait Eric Woerth en glissant cet amendement dans le grand brouhaha de la retraite.

Heureusement, des syndicalistes et la CFE-CGC ont repéré cet amendement et ils ont tiré la sonnette d'alarme pour que petit à petit la population s'aperçoive de la rouerie qu'est ce cavalier législatif. Car c'est une loi cachée derrière une autre loi.

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