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samedi 20 août 2011

Affaire Lagarde-Tapie, révélatrice de la ligne éditoriale des journaux français

Les dernières révélations de Mediapart sur l’affaire Lagarde-Tapie n’ont pas reçu le même traitement dans la presse nationale : les différences de traitement de cette affaire révèlent des différences de lignes éditoriales, mais aussi surement de l’allégeance plus ou moins forte au pouvoir en place. Il était donc très intéressant de faire un tour de la presse afin d’y voir plus clair.

Depuis l’annonce du versement d’une somme d’argent considérable associée à un préjudice moral incroyable que beaucoup de victimes anonymes envieront, nous nous doutons bien que l’affaire Lagarde-Tapie sera tumultueuse. Dans ce contexte les nouvelles vont de mal en pis pour la nouvelle chef du FMI. Manque de chance, pourtant prévisible, après « l’échec » de DSK suite à la plainte pour viol portée contre lui, il a fallut que la France milite pour un(e) remplacent(e) français(e) qui avait pourtant déjà une affaire grave sur le dos. Christine Lagarde est en effet soupçonnée en juillet 2008 d’avoir favorisé l’usage d’un tribunal arbitral de juridiction privée menant à un versement très avantageux pour Bernard Tapie : suite à la décision du tribunal arbitral, ce dernier à reçu du CDR 285 millions d’euros d’indemnités plus des intérêts pour un montant total de 400 millions d’euros en règlement du litige qui l’opposait au Crédit Lyonnais sur l’affaire de la vente d’Adidas en 1993. En fait Tapie n’a touché « que » 304 millions d’euros à cause de diverses créances qu’il a fallu déduire. La décision de Madame Lagarde favorable à Bernard Tapie daterait de sa prise de fonction de Christine Lagarde en juin 2007. A cette époque elle devait trancher sur ce dossier et malgré l’opposition des sept magistrats du CJR elle a opté pour une solution favorable à Tapie. La décision fait de suite polémique, car le choix de l’arbitrage fait par Lagarde n’est pas habituel et que Bernard Tapie avait été un des soutiens de Nicolas Sarkozy durant sa campagne présidentielle (et après). Cette affaire résonne de nouveau comme celle du Fouquet’s. Du côté du ministre on évoque la longueur de l’affaire qui durait déjà depuis 12 ans et de la facture des avocats qui commençait à sérieusement grimper, il fallait donc en finir. Certes, mais pourquoi en finir au grand avantage de Bernard Tapie ? D’autant que si l’affaire trainait en longueur les chances de Tapie d’avoir raison devenaient de plus en plus faibles. Premier revers de fortune pour Lagarde : le 4 août la commission des requêtes avait donné un avis favorable à l’ouverture d’une enquête sur l’ancienne ministre. Mardi, une commission d’instruction a été saisie dans ce cadre afin de décider si elle doit être jugée pour « complicité de faux » et « complicité de détournement de fonds publics ».

Autant dire tout de suite que l’affaire n’est pas brillante pour l’ex-ministre et actuelle directrice du FMI. Si peu brillante, qu’en cas de condamnation, ce serait une nouvelle humiliation pour la France sur la scène internationale après l’affaire DSK toujours en cours. Pourtant, déjà lors du choix du nouveau président du FMI, il était clair que Madame Lagarde avait une épée de Damoclès au dessus de la tête avec un fil de plus en plus ténu… Finalement suivant l’évolution des résultats de l’enquête, l’affaire risque fort d’éclabousser directement Nicolas Sarkozy. Car si la décision a été prise des la prise de fonction de Christine Lagarde au ministère, c’est peut-être parce qu’on lui a demandé de régler cette affaire dans un sens qui arrangeait le pouvoir. On comprend mieux, sous cet éclairage, l’importance de cette affaire pour la France et pour la présidentielle de 2012. D’où l’intérêt de suivre la presse sur ce sujet.

Dans ce cadre, les mauvaises nouvelles se suivent et se ressemblent. La position de l’ex-ministre devient de plus en plus délicate au fur et à mesure des décisions de justice et des révélations de la presse. Dernière révélation en date : Mediapart dévoile les motivations qui ont conduit la CJR à ouvrir une enquête. La CJR parle d’implication « personnelle » de la ministre dans le dénouement en faveur de l’homme d’affaires, mais également de nombreuses « anomalies et irrégularité ». L’article de Mediapart est payant et donc de diffusion limitée à ses abonnés. En revanche, le reste de la presse se fait plus ou moins l’écho de cet article. Nous avons classé en trois catégories les journaux : ceux qui dévoilent les meilleurs morceaux de l’article, ceux qui atténuent la portée de l’article et ceux qui n’en parlent pas ou presque (article relégué en fond de journal).

Les journaux qui n’hésitent pas

Dans la liste des journaux qui n’hésitent pas à parler du contenu de l’article de Mediapart, nous avons :

L’express et L’expansion avec le titre « Affaire Tapie : un document accablant contre Christine Lagarde » et dans l’article est citée la CJR qui estime que l’ex-ministre s’est impliquée « personnellement » dans cette affaire entachée de « nombreuses anomalies et irrégularités ». Lagarde « parait avoir personnellement concouru aux faits, notamment en donnant des instructions de vote aux représentants de l’État dans le conseil d’administration de l’EPFR », Établissement Public de Financement et de Restructuration, « voire au président de cet établissement public en sa qualité de membre du conseil d’administration du CDR ». Le journal rappelle également la note du 1er août 2007 du directeur général de l’Agence des participations de l’État qui déconseillait Lagarde de poursuivre dans la voie d’un arbitrage privé qui « pourrait être considéré comme une forme de concession inconditionnelle et sans contrepartie faite à la partie adverse ». L’article rappelle également que le CJR avait indiqué que le choix des arbitres « n’apparait pas conforme aux pratiques habituelles » et souligne un résultat positif pour Tapie puisque le tribunal a satisfait « 80 % des demandes du camp Tapie pour le préjudice matériel et 90 % pour le préjudice moral » alors que dans le même temps les consultations d’avocats spécialisés laissaient entrevoir une annulation de la sentence.

Le journal Le Monde titre « Affaire Tapie : la CJR estime que Lagarde s’est impliquée « personnellement » ». Le contenu de l’article cite les mêmes passages que L’express et ajoute que selon Mediapart, les motivations de la CJR constituent un "document en tout point accablant pour Christine Lagarde".

Libération titre « Affaire Tapie-Lagarde: pourquoi la CJR a ouvert une enquête », l’article de source AFP relève un autre extrait des motivations du CJR : «Le processus qui a conduit (...) à la condamnation du CDR [Consortium de Réalisation, structure publique qui gérait le passif du Crédit Lyonnais, ndlr] au paiement de sommes élevées à la charge des finances publiques comporte de nombreuses anomalies et irrégularités» et reprend les principaux éléments des journaux ci-dessus.

Rue89 titre « Affaire Lagarde : "Une action concertée" au profit de Tapie » et l’article, moins complet que les précédents, ajoute des informations nouvelles et explosives : deux des trois arbitres étaient proches de Tapie sans que Bercy ne demande leur remplacement ! D'autre part, « Christine Lagarde ne s'est pas opposée à la décision des arbitres. Au contraire, puisque ‘sans attendre l'expiration du délai d'un mois’ dont elle disposait pour contester le verdict, elle a ‘demandé par écrit aux administrateurs représentant l'État [au CDR, ndlr) de s'exprimer en défaveur d'un recours en annulation’. ‘Ces faits, à les supposer démontrés, sont susceptibles de constituer à la charge de Mme Lagarde les délits de complicité de faux par simulation d'acte et de complicité de détournement de fonds publics […]. Le ministre parait avoir personnellement concouru aux faits […].’ »

Les Échos titrent « Enquête sur Lagarde : la CJR relève « anomalies » et « irrégularités » (article réservé aux abonnés) et reprend les informations de Mediapart : le CJR «estime que l'ex-ministre s'est impliquée « personnellement » dans un processus comportant « de nombreuses anomalies et irrégularités » … « La directrice générale du FMI se serait impliquée notamment « en donnant des instructions de vote aux représentants de l'État dans le conseil d'administration de l'EPFR [Établissement public de financement de restructuration, gérant le soutien financier de l'État au Consortium de Réalisations, NDLR], voire au président de cet établissement public » en sa qualité d'administrateur du CDR, selon le document.

Idem, pour La Tribune qui titre « Affaire Tapie : ça commence très mal pour Christine Lagarde » ne rentre pas dans les détails, mais souligne que « Christine Lagarde "parait avoir personnellement concouru aux faits". Elle aurait donné des "instructions de vote" »

Le journal La Croix titre « Christine Lagarde «personnellement» impliquée dans l'affaire Tapie, selon la CJR » mais ne détaille pas plus que cela l’information.

Les journaux très modérés

Le journal 20 minutes titre « Enquête sur Lagarde: La Cour de justice de la République relève anomalies et irrégularités, d'après Mediapart », le contenu relève les principaux éléments, mais ne donne pas de détail.

Le parisien titre un très sobre « L'enquête sur Christine Lagarde lancée officiellement » et le contenu de l’article est également sobre, car il ne mentionne absolument pas l’article de Mediapart ni les motivations de la CJR… Mais le journal publie un nouvel article « Affaire Tapie: la CJR pointe le rôle de Christine Lagarde » rappelle que les sommes versées seront à la charge des finances publiques (vous et moi, donc). Il rappelle rapidement les principaux éléments de l’article de Mediapart.

Les journaux qui n’en parlent pas ou très peu

Challenges titre « Affaire Tapie/Lagarde : l'enquête officiellement ouverte » et dans un article court qui ne parle pas de l’article de Mediapart ni des motivations du CJR, rappelle que des investigations sont en cours pour savoir si l'ex-ministre s'est rendue coupable de "complicité de faux" et "complicité de détournement de biens publics".

Le figaro publie une brève « Lagarde: l'enquête officiellement lancée » un article AFP de moins de 10 lignes qui n’évoque en rien les révélations de Mediapart.

Rien sur France Soir ni sur Le Point.

Conclusion

Le Point et Challenge n’ont pas forcément une fréquence de publication leur permettant de réagir vite, nous verrons s’ils en parleront plus tard. Un doute subsiste tout de même.

Le manquement de France Soir n’est pas compréhensible, car il sont abonnés à l’AFP et n’ont donc pas jugé nécessaire d’en parler malgré des « Unes » pas toujours importantes (Guérini, Belle/Blonde/désagréable, sport, …).

Le Figaro a choisi clairement de ne pas en parler par loyauté vis-à-vis du gouvernement, car s’il ne parle pas de ce sujet il fait sa « Une France » sur l’euthanasie, le docteur Bonnemaison, la canicule, le nouveau préfet de Marseille et les parents d’accueil… Bref, il y avait largement de la place pour cet article et il s’agit clairement d’un choix éditorial…

L’AFP finalement est la grande surprise, car si elle a inspiré ou été à l’origine de bon nombre d’articles ci-dessus, elle a produit un article sans complaisance pour Lagarde et le gouvernement. Et l’AFP récidive aujourd’hui avec un article sur Bayrou pas beaucoup plus agréable : « Dans cette incroyable affaire Tapie, il est un motif d'espérer, c'est la force d'une justice indépendante qui lève l'un après l'autre tous les obstacles mis sur sa route » puis plus loin autre citation de Bayrou : « La décision de la CJR est impressionnante par la précision de l'analyse et de la définition des manquements, des illégalités, des complicités qui ont permis, au sein même de l'État, la décision la plus scandaleuse des dernières décennies ».

Quant aux gagnants ils sont nombreux même si L’Express, Le Monde et Libération sortent du lot. C’est tout de même un bon point pour la liberté de la presse en France même si en août l’impact d’un tel article ne sera pas très grand…

jeudi 18 août 2011

Vers une "précarisation par le haut" des informaticiens ?

 

A lire dans Le Monde.fr:

Ils ont fait de longues études, ont le statut de cadres, et travaillent dans un secteur porteur. Pourtant, les informaticiens qui travaillent pour des SSII (société de services spécialisée en ingénierie informatique) sont en première ligne d'une "précarisation par le haut" qui menace de s'étendre, estime le journaliste Nicolas Séné dans un livre engagé qui leur est consacré, "Derrière l'écran de la révolution sociale."

L'appellation "SSII" regroupe la plupart des entreprises de services en informatique. De la PME aux multinationales comme Atos Origin ou Capgemini, les SSII vendent des prestations : conception d'un site, gestion d'une plate-forme informatique, élaboration d'un logiciel... Les informaticiens qu'elles emploient peuvent travailler dans deux cadres : "au forfait", c'est à dire qu'ils travaillent directement dans les locaux de la SSII et leur travail est facturé au client à la journée ; ou bien "en régie", c'est à dire que l'informaticien travaille directement chez le client, pour une période qui peut aller de quelques jours à plusieurs années.

LA DOMINATION DES COMMERCIAUX

Au sein de la SSII, en plus de son supérieur hiérarchique, l'ingénieur dépend également des commerciaux de l'entreprise, qui disposent d'un grand pouvoir. Ce sont eux qui ont la responsabilité de placer les informaticiens chez les clients ; leur rémunération est directement indexée sur leurs performances. Son intérêt est donc de placer le plus possible de prestataires, le plus vite possible – quitte, dans certains cas, à tricher avec les compétences du salarié. "Lorsque je suis monté dans le taxi pour aller à l'entretien de placement avec mon commercial, il m'a tendu une feuille en me disant que c'était mon CV pour l'entretien. Dessus, il y avait des compétences que je n'avais absolument pas", explique au Monde.fr un ancien salarié d'une grande SSII. "Seule une minorité des offres sert au recrutement. La majorité est utilisée pour trouver des profils (...) Le recrutement est ensuite subordonné à l'obtention du contrat commercial", explique Nicolas Séné.

Pour pouvoir fournir très vite tous types de profils à leurs clients, les SSII pratiquent une politique de recrutements massifs. Elles démarchent les élèves en écoles d'ingénieurs avant leur sortie, et écument les sites de CV en ligne. "J'ai reçu un e-mail me proposant un entretien quinze minutes après avoir publié mon CV sur LinkedIn", s'amuse un salarié d'une autre SSII. Mais ces recrutements en masse ne s'expliquent pas seulement par le dynamisme du secteur : il est aussi "la conséquence de taux de turn-over impressionnants : 15 %, d'après les chiffres de l'Apec pour 2008", précise Nicolas Séné. "Loin d'exprimer le dynamisme de l'entreprise, cela fait douter quant à leur gestion du personnel", analyse-t-il.

"Je ne nie pas qu'il y ait un turn-over à deux chiffres", explique Philippe Tavernier, président de la Commission social, emploi, formation et vice-président du Syntec numérique, le syndicat patronal des métiers de l'informatique. "Mais ce taux est aussi lié au profil des salariés des SSII : elles recrutent environ un jeune diplômé sur deux. Parmi ces derniers, beaucoup souhaitent se faire une première expérience, puis partent travailler dans une autre entreprise ou pour le client final. Par ailleurs, le travail en SSII peut aussi être exigeant et demande une certaine mobilité : certains salariés, à un moment de leur carrière, préfèrent une plus grande stabilité, dans un environnement connu".

Une partie de ce turn-over s'explique aussi par les débauchages d'une SSII à l'autre : l'un des reproches récurrents parmi les informaticiens rencontrés par le Monde.fr concerne les difficultés de progression au sein de l'entreprise. "L'entretien annuel se passe toujours de la même manière : 'tu travailles bien, mais en ce qui concerne les augmentations, cette année c'est compliqué...'", explique l'un d'entre eux. Postuler auprès d'autres SSII devient alors le principal moyen d'obetnir un meilleur salaire, un poste plus intéressant ou une zone géographique particulière. "Je voulais quitter ma SSII, j'ai mis mon CV en ligne; le lendemain, c'est mon responsable hiérarchique qui m'a appelé, il avait vu l'annonce et voulait savoir ce qui n'allait pas", raconte un ingénieur.

DOUBLE HIÉRARCHIE

Sur le papier, les commerciaux n'ont pourtant pas la responsabilité hiérarchique des ingénieurs. Ces derniers ont un référent hiérarchique, au sein de la SSII, qui doit assurer leur encadrement et la gestion des ressources humaines. Une situation complexe en pratique : pour les congés, par exemple, c'est ce supérieur hiérarchique qui doit valider les dates. Mais pour un salarié "en régie", les dates se négocient surtout avec le client, en fonction de ses besoins.

Ce flou dans les rapports hiérarchiques est problématique  sur le plan social comme sur le plan légal, juge Nicolas Séné. "La loi cadre très précisément ce prêt de main-d'œuvre : le salarié doit recevoir ses ordres uniquement de son supérieur hiérarchique dans sa SSII. S'il les reçoit du client, il y a ce qu'on appelle 'délit de marchandage'", écrit-il. Or, en pratique, le lien entre le salarié "en régie" et son supérieur hiérarchique dans la SSII est très ténu : le plus souvent, l'ingénieur ne rencontre son responsable qu'une à deux fois par an, pour un entretien où sont abordés son travail et ses perspectives. Au jour le jour, c'est avec le client que traite le salarié. "La régie est donc parfaitement illégale. Elle reste en outre la principale cause des mauvaises conditions de travail des informaticiens", poursuit Nicolas Séné.

Pour le Syntec numérique, le système de la régie – qui concerne 150 000 salariés selon l'organisation patronale – n'est pas illégal, mais Philippe Tavernier reconnaît une certaine ambiguïté du statut. "Ces métiers sont des métiers d'expertise, avec des contraintes propres", détaille-t-il. "Pour prendre un point de comparaison, lorsqu'un plombier vient chez vous pour réparer votre salle de bain, il est salarié d'une entreprise de plomberie ; si vous, le client, lui demandez de placer un robinet dix centimètres plus haut, est-ce que vous êtes dans l'illégalité ? Je ne le crois pas."

L'INTERCONTRAT, PÉRIODE D'INCERTITUDES

Dans ce système qui favorise les placements en flux tendus, la situation peut se compliquer pour les salariés en "intercontrat", c'est à dire la période qui sépare deux placements, surtout si la période se prolonge. "Quand votre supérieur hiérarchique est un commercial, vous représentez alors une charge pour son portefeuille de salariés", écrit Nicolas Séné, qui évoque également le cas de salariés à qui l'on impose de poser des jours de congés ou des RTT durant leur intercontrat. "Le meilleur moyen pour lui de vous rentabiliser est donc de vous trouver à tout prix une nouvelle mission. Ou, plus radical, de vous pousser à partir. Et sur fond de crise, les arguments sont tout trouvés."

Pourtant, en plus de constituer une pause entre deux missions, les intercontrats sont une occasion rare pour les salariés de se former. Car c'est un autre point qui revient régulièrement dans les critiques des employés de SSII : la très grande difficulté à obtenir des formations, qu'il faut réclamer avec insistance, même entre deux contrats. S'appuyant sur les calculs de l'organisation professionnelle Munci, Nicolas Séné note qu'en 2007, le fonds de financement des formations était largement excédentaire, avec 25 % des sommes collectées non dépensées, indice d'un manque de formations effectuées.

Pour le Syntec, ces excédents s'expliquent surtout par un effort de collecte. "Je ne dis pas que l'on ne peut pas faire mieux, mais les entreprises du secteur dépensent entre 5 % et 6 % de leur masse salariale en formations, soit trois à quatre fois le minimum légal. Sans oublier qu'il y a un droit individuel à la formation : tous les moyens existent aujourd'hui pour bénéficier d'une formation".

MODÈLE INDUSTRIEL

Mais au-delà de l'intercontrat, inévitable de par la nature des missions, le syndicat patronal souhaiterait pouvoir disposer, en cas de forts ralentissements de l'activité – crise économique, par exemple – du chômage partiel. "Les SSII embauchent en CDI : lorsque les clients finaux sont en difficulté et ne renouvellent pas leurs contrats, les salariés risquent d'être licenciés. Ce n'est pas bon pour l'entreprise, et ce n'est pas bon non plus pour les caisses de l'Etat", justifie Philippe Tavernier.

Actuellement, le chômage partiel est réservé à un secteur bien précis et qui fait face à d'importantes difficultés : l'automobile. Un secteur dont s'inspire directement le secteur de l'informatique, explique Nicolas Séné : recours massif aux sous-traitants des SSII, externalisations à l'étranger, en Inde notamment, gestion qui privilégie les commerciaux au détriment des ouvriers... Une proximité qui s'expliquerait en partie par les liens entre les grands patrons de l'industrie automobile et les SSII : Ernest-Antoine Seillière lui-même, le fondateur du Medef, a beaucoup investi dans Capgemini. "Le petit monde des grandes SSII est en fait un vaste laboratoire social pour le patronat", analyse Nicolas Séné.

mardi 9 août 2011

Souriez, vous êtes tondu !

Pas de surprise, la finance a pris le pouvoir et le garde. Après la crise de 2008, une nouvelle crise arrive, mais est-elle vraiment nouvelle ? Ne s'agit-il pas au contraire de la suite de la précédente crise : aucun problème n'a été réglé finalement, donc que les mêmes personnes sont au pouvoir et tirent les ficelles dans l'ombre avec la même vigueur afin de mieux puiser dans nos économies…

C'est ce qui est terrible aujourd'hui : nous avons l'impression d'avoir des choix et finalement tout est déjà décidé par d’autres dans l’ombre. La bourse n'est pas une loterie, au contraire, un groupe de personnes décide de tout dans le but de bénéficier des meilleurs rendements, nous laissant les miettes et surtout les pertes des chocs boursiers qu’ils ont créés. Comment expliquer que dès vendredi dernier, voire même dès le début de la semaine dernière, de nombreuses actions ont été vendues alors même que la dégradation de la note des États-Unis n'est pas encore connue ? Qui a averti les investisseurs ? Il y a eu forcément des fuites, sinon pourquoi tout le monde vend ? C’est la même histoire que pour le 11 septembre : quelques jours avant l’attentat la bourse a enregistré de nombreux mouvements injustifiés. Qui a pu savoir ? Qui a donné l’information ? Qui savait ?

Autre question : comment Standard & Poor’s arrive a noter tout seul et 136 pays avec seulement 100 analystes ? Soit 0,73 analyste par pays ! L'analyse des comptes d'un pays est loin d'être évidente et requiert finalement beaucoup de moyens. Que penser du fait que S&P n’avait pas prévu la bulle immobilière de 2007 ? Est-ce que les agences de notation sont vraiment bien positionnées pour pouvoir noter des pays ? Rappelons que leur mission initiale n’était pas de noter des pays, mais les obligations émises par les entreprises privées, missions qu’elles assuraient encore pleinement et sérieusement dans les années 90. Que s’est-il passé depuis ?

Dans les conditions décrites ci-dessus, ont-elles le droit d'avoir autant de pouvoir au point d'imposer leurs conditions pour l'attribution d'une bonne ou d'une mauvaise note et de juger de la politique d'un pays ? Est-ce que dans la mission de ces agences de notation se trouve une dimension politique ? À moins que le but des conseils fortement appuyés de ces agences sur la politique des pays permette finalement à un groupe de personnes d'imposer des décisions qui vont dans le sens de leurs propres intérêts ? Dégrader la note d’un pays permet d’imposer des privatisations (encore un marché juteux pour les investisseurs privés qui s’ouvre), des suppressions d’avantages sociaux (baisse du cout du travail et pression sur l’emploi), d’augmenter le chômage (et donc de faire baisser le cout du travail), etc.… Du pain béni pour les gros investisseurs de tous poils.

Dans ces conditions, la notation n'est plus vraiment une notation ce n’est plus, finalement, qu’un lobby de défense d'intérêts financiers particuliers. D'ailleurs, ne nous y trompons pas, la Chine a elle-même créé ses propres agences de notation et les notations chinoises diffèrent sensiblement des notations des agences occidentales. La raison d’une telle création pour la Chine est bien évidemment la défense d'intérêt politique et économique chinois. Les agences de notation sont donc aujourd’hui des agences financières qui ont pour but de servir des intérêts d'une nation (agences gouvernementales) ou d'un groupe d'investisseurs privés. En aucun cas leur mission n’est pour le bien commun. C’est très facile à voir : la notation S&P dégradant la note des États-Unis se basait en partie sur une erreur comptable. Lorsque l’administration américaine a rectifié l’erreur et demandé a S&P de revoir sa note, cette dernière n’en a rien fait et a juste changé les motifs de sa décision, nous sommes ainsi passés d’une raison économique a une raison politique. Encore la politique. Qui est derrière S&P ? Quels intérêts représente-t-elle ? Certainement pas le gouvernement américain, ou peut-être, entre autres, certains opposants d’Obama qui trouvent là une occasion unique de tirer sur le président.

Il faut bien voir l’autre aspect de l’affaire : si en dégradant la note des États-Unis S&P servait des intérêts financiers et politiques particuliers, revenir sur sa notation aurait détruit une partie des bénéfices de ceux pourquoi ils travaillent. Cela aurait également détruit leur réputation. Il était donc urgent de ne pas revenir sur cette note. Que vaut vraiment cette note ? Comment peut-on noter un pays tel que les états unis sans vérifier et contre vérifier ses chiffres ? Comment peut-on faire une erreur détectable en 24 heures ? Est-ce que la dégradation de la note était si urgente qu’elle ne pouvait attendre de nouvelles vérifications de quelques jours ou semaines ? Ce sont de vraies questions mettant à jour les vraies motivations de ces agences.

La bourse pour un investisseur particulier est donc bien une loterie en revanche pour d'autres, il s'agit de faire main basse sur nos économies. Il s'agit d'un pillage complètement organisé en vue de nous « tondre » et de nous exploiter sans la moindre échappatoire possible. Il ne reste plus, finalement, au petit investisseur que des petits investissements : le livret A et sa misérable rémunération, les assurances vie et sont imposition grandissante et le livret de développement durable. Belle affaire ! La bourse et ses rendements miraculeux ne le sont pas. Il s’agit en fait d’un jeu de bonneteau ou le gagnant est connu d’avance. Et ne croyez pas que parce que vous, personnellement, vous ne jouez pas en bourse vos économies ne risquent rien et vos conditions de vie non plus. Le ralentissement économique qui s’en suivra sera terrible pour l’emploi, les salaires, les avantages sociaux et par effet de bord pour le commerce, les services, l’industrie… Les privatisations vont reprendre et les prix mécaniquement augmenter (comme lors de la privatisation d’EDF qui, au lieu de faire baisser les prix ne fait que de les augmenter). Vous verrez que comme la dernière fois aucune mesure ne sera prise et qu’il y aura d’autres secousses tous des répliques du premier tremblement de terre. Pourtant, il y a une solution radicale et simple : taxer fortement tous les flux purement financiers et ainsi redonner de la valeur au travail. Tiens c’est étrange… Quel homme politique voulait valoriser le travail en début de mandat ?

Souriez, vous venez encore une fois d’être tondu !

lundi 8 août 2011

Le « free seating » ou la liberté de ne plus avoir de siège au boulot

 

A lire sur Rue89:

 

Priver de bureaux les employés sur la route, en réunion ? Risqué pour l'ambiance, ont constaté Renault ou Microsoft.

Finis la photo des enfants posée sur le bureau, la plante verte et le pot à crayons mâchonnés à portée de main. Chez Accenture, c'est « free seating » ou « desk sharing » : les bureaux ne sont pas attitrés, et il y en a moins que d'employés.

C'est le cabinet de conseil qui a introduit en France cette pratique anglo-saxonne. Depuis, IBM, Hewlett-Packard ou encore Microsoft s'y sont mis. Qu'est-ce qui les motive ?

Les bureaux vides, tout d'abord. Entre les déplacements chez les clients, les réunions et les RTT, seuls 60% des postes sont occupés en moyenne, constate Xavier Perrin, directeur immobilier de Microsoft pour l'Europe de l'Ouest :

« A l'occasion de notre déménagement, les places des salariés les plus nomades, commerciaux ou consultants, ont donc été remplacées par un “pool” de postes interchangeables. »

Au total, sur les trois millions de mètres carrés occupés par Microsoft dans le monde, un tiers sont désormais « flexibles ». Comme les coûts, réduits à chaque opération de 14% par an durant cinq ans.

« On repérait les nouveaux, ils disaient encore “bonjour” »

Tentant, mais pas sans risque. Chez Renault, l'expérimentation a dû être abandonnée, raconte la direction de la communication :

« Les équipes avaient perdu leurs repères et se sentaient mal. Mais le système perdure très localement en Hollande et en Grande-Bretagne, où la relation à l'espace matériel est peut-être moins chargée d'affect. »

Même Accenture a dû revoir sa méthode, qui avait été poussée à l'extrême : il fallait réserver à l'avance sur l'Intranet un créneau horaire. Une place en open space était alors attribuée de manière aléatoire.

Difficile de manager dans ces conditions, se souvient un ancien cadre dirigeant :

« Comme l'équipe se retrouvait éclatée, nous échangions par e-mail. J'ai mis quatre mois à croiser tous mes collaborateurs. En fait, personne ne se connaissait plus dans l'entreprise.

D'ailleurs, on repérait facilement les nouveaux, ils disaient “bonjour” quand ils entraient dans l'ascenseur. »

« Places de village » chez Accenture, « quartiers » chez Microsoft

Marche arrière toute, donc. Quelques repères ont été réintroduits, qui se veulent familiers, rassure le directeur général France d'Accenture, Marc Thiollier :

« La réservation a disparu, chacun peut venir quand il le souhaite. Et nous avons divisé les espaces ouverts en “places de village”, par secteurs d'activité. »

Chez Microsoft, ce sont des « quartiers ». Car il ne suffit pas de réduire le nombre de bureaux, prévient Xavier Perrin :

« C'est tout l'univers de travail qui doit être repensé. Le collaborateur doit pouvoir retrouver ses pairs quand il en a besoin, mais également se déplacer en fonction de ses activités. »

Zéro papier, table rase, et chaises musicales

D'où l'invention « d'espaces collaboratifs » environnants :

« Quand le collaborateur a besoin de téléphoner, il rejoint la “phone booth”, quand il veut parler à un collègue il le fait dans la “focus room”, sans contaminer tout l'open space. »

Et quand le salarié part en réunion, il libère « sa » place, poursuit Xavier Perrin :

« C'est d'autant plus facile qu'il est autonome maintenant : il n'a besoin que de son ordinateur, qui fait également téléphone et qui lui évite documents imprimés et rangements. » (Voir une publicité Microsoft sur la mobilité du salarié)

Zéro papier, table rase, et chaises musicales. Accueillant. Pourtant, certains préfèrent d'ailleurs travailler chez eux, constate Priscille Bellenger, déléguée syndicale CFE-CFC chez Mircosoft :

« Les managers les y encouragent de plus en plus. Le domicile fait désormais partie des espaces possibles, car certains y sont plus productifs. »

Un peu au bureau, un peu à la maison, est-ce du télétravail ?

C'est le « package » : « free seating » et travail à domicile. Accenture a d'ailleurs fini par signer un accord sur le télétravail en 2010, précise Marc Thiollier :

« Le télétravail était toléré pour les consultants, nous avons voulu l'étendre à tous. »

Toutes les entreprises ne considèrent pas cette alternance entre bureau et domicile comme du télétravail. Pas d'accord à signer, ni même d'obligations concernant les dépenses induites, par exemple. Le flou règne.

Des journées plus souples mais plus longues

Quant au temps de travail, il reste lui aussi confiné à l'imprécision, alors que les espaces avaient été si savamment rationalisés. « Relation de confiance », répond Marc Thiollier. « Pas envie de fliquer », assure Xavier Perrin, pour Microsoft :

« Chacun gère son temps comme il l'entend. Nous demandons simplement que la flexibilité s'exerce de façon responsable. Chaque collaborateur doit veiller à ne pas pénaliser la disponibilité-clients, le fonctionnement collectif ni le rythme du business. »

Résultat : si les travailleurs nomades déterminent plus librement leurs horaires que les sédentaires, selon la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), ils sont aussi deux fois plus nombreux à travailler la nuit. Et six fois plus nombreux que les autres cadres à œuvrer le dimanche.

lundi 1 août 2011

La vidéoprotection, une gabegie

A lire dans Le Monde:

Après Paris, c'est Marseille, deuxième plus grande ville de France, qui a annoncé son plan "1 000 caméras". La question est à l'ordre du jour du conseil municipal extraordinaire qui a lieu le 30 mai dans la cité phocéenne. De fait, les municipalités de toute taille, de la grande métropole jusqu'au village de zone rurale, sont de plus en plus nombreuses à s'équiper en vidéosurveillance. Elles répondent en cela à une "priorité" de la politique de sécurité depuis 2007. Et pourtant, l'efficacité de cette technologie est tout sauf démontrée du point de vue scientifique.

Rappelons d'abord que la vidéosurveillance est utile à bien des choses : pour surveiller des entrepôts, des dépôts et des parkings, afin de lutter contre le vol de matériel. Les banques l'utilisent pour filtrer les entrées et sorties et réduire les risques de braquage. Des magasins s'en servent contre le vol à l'étalage. Les casinos pour repérer les tricheurs.

La vidéosurveillance contribue aussi à la sécurité publique. On l'utilise pour surveiller le trafic autoroutier, et prévenir les accidents dans les sites industriels sensibles... Tout cela existe et fonctionne plus ou moins bien depuis longtemps. La vidéosurveillance est en effet utilisée dans des buts précis, afin de gérer des risques concrets bien identifiés.

Mais ce que l'Etat appelle désormais "vidéoprotection" et qu'il tente de généraliser à toutes les collectivités territoriales (et aux bailleurs sociaux) par une pression politique et une incitation financière, c'est autre chose. Il s'agit ici de déployer des caméras dans l'espace public, dans les rues de nos villes et de nos villages, pour y surveiller tout en général et rien en particulier, en affirmant que cela aura des effets à la fois préventifs et répressifs permettant de diminuer la délinquance.

Or, les évaluations scientifiques contredisent cette affirmation, remettant ainsi en question la bonne gestion de cet argent public. Précisons d'abord que, par définition, l'évaluation scientifique ne peut être menée que par des chercheurs indépendants du pouvoir politique et des entreprises privées commercialisant cette technologie. L'éthique scientifique ne tolère pas le conflit d'intérêts.

Ensuite, l'évaluation scientifique ne se situe pas sur le terrain philosophique mais sur celui des faits. Elle cherche en l'espèce à répondre aux questions suivantes : la vidéoprotection est-elle une technique efficace de lutte contre la délinquance ? Est-elle un investissement rationnel au regard de l'évaluation d'autres outils de prévention et de répression ? Enfin, une évaluation scientifique repose sur des études de terrain, des observations longues et répétées de fonctionnements ordinaires des dispositifs, des comptages et des calculs précis, des comparaisons rigoureuses et une connaissance de la littérature scientifique internationale.

Tout cela se distingue des arguments des promoteurs politiques et financiers du système, qui utilisent des exemples spectaculaires mais isolés, des faits divers réels mais décontextualisés, des arguments d'autorité au lieu de démonstrations vérifiables et des calculs budgétaires qui "oublient" de compter le coût salarial. Pour toutes ces raisons, beaucoup d'élus et de citoyens seront sans doute surpris d'apprendre que, premièrement, la vidéoprotection n'a qu'un impact marginal sur la délinquance ; deuxièmement, qu'augmenter cet impact supposerait des moyens policiers supplémentaires alors qu'ils se réduisent ; troisièmement, que le coût réel du système "assèche" tellement les budgets de prévention de la délinquance que l'on doit conclure à un usage très contestable de l'argent public. Développons un peu.

1. La vidéoprotection ne surveille par définition que l'espace public et elle est installée dans les centres-villes. Elle n'a donc aucun impact sur les violences physiques et sexuelles les plus graves et les plus répétées qui surviennent dans la sphère privée. Elle n'en a pas davantage sur les atteintes aux personnes, moins sérieuses, survenant sur la voie publique et qui relèvent le plus souvent d'actes impulsifs (bagarres, rixes entre automobilistes, querelles de sortie de bar, etc.).

Elle n'a ensuite qu'un impact dissuasif marginal sur des infractions fréquentes comme les vols de voiture, les cambriolages de résidences principales ou secondaires, et même sur toute la petite délinquance de voie publique des centres-villes où elle est installée. En réalité, la vidéo permet surtout de repérer et d'identifier a posteriori les auteurs de rixes et d'attroupements sur la voie publique, de dégradations de biens publics ou privés sur la voie publique, enfin, et plus rarement, de vols avec violence, de vols à l'étalage, de braquages de commerces ou encore de petits trafics de stupéfiants.

Tout cela à condition que les caméras soient positionnées sur les lieux de ces délits au bon moment, ce qui est loin d'être le cas, puisque la plupart des caméras effectuent des "parcours" prédéfinis laissant des zones sans surveillance pendant plusieurs minutes.

En définitive, l'impact en termes de détection d'infractions autres que routières se situe entre 1 % et 2 % du total des infractions sur la voie publique traitées en une année par les services de police ou de gendarmerie sur le territoire de la municipalité concernée.

Enfin, l'aspect judiciaire n'est guère plus probant. Les réquisitions d'images à des fins d'enquête après des infractions sont du même niveau statistique, sans que l'on sache si ces images ont été exploitables et exploitées dans la suite des procédures judiciaires. On est donc loin, très loin, d'un système efficace de prévention de la délinquance. Ce bilan plus que médiocre conduit nombre de villes déjà équipées à mobiliser la vidéosurveillance à d'autres usages qui permettent d'en légitimer l'utilité : le contrôle de la circulation et du stationnement, la sécurisation de l'intervention des policiers, des pompiers ou des ambulanciers.

2. Il existe de nombreuses évaluations étrangères (Angleterre, Australie, Canada, Etats-Unis...), qui montrent que, dans de rares cas, l'impact de la vidéosurveillance peut être plus important. Quel est le facteur-clé ? Contrairement au discours dominant en France, ce n'est pas l'augmentation du nombre de caméras. L'expérience londonienne (au moins 60 000 caméras, soit autant que ce qui est prévu pour la France entière) le montre. Il ne sert à rien de chercher à "saturer" l'espace et de s'émerveiller devant des murs d'écrans donnant le sentiment de voir et de contrôler toute une ville au même moment.

La clé réside dans le couplage étroit de la vidéosurveillance avec les forces de police présentes dans la rue, afin d'accroître le niveau d'information des policiers, mais aussi de diminuer leur temps d'intervention.

En d'autres termes, il ne sert pas à grand-chose de repérer plus vite un problème si la police n'intervient pas plus vite. Dès lors, la situation française apparaît dans tout son paradoxe, pour ne pas dire dans son absurdité puisque la vidéoprotection est promue par les pouvoirs publics comme un substitut et une contrepartie à la réduction des effectifs policiers.

3. Il est sans doute inévitable que des entreprises à but lucratif cherchent à vendre leurs produits à tout prix, en les présentant comme dotés de facultés qu'ils n'ont qu'en partie et en dissimulant les coûts réels pour l'utilisateur. Cela se constate dans tous les domaines, et le marché privé de la sécurité n'échappe pas à la règle.

Il est en revanche plus étonnant que l'Etat participe à ce marketing par l'intermédiaire des préfets, ainsi que de fonctionnaires de police et de gendarmerie chargés de relayer sur le terrain le "plan de vente" des entreprises privées. En effet, les caméras perdent toute efficacité préventive lorsqu'elles ne sont reliées à aucun système de visionnage en temps réel et qu'une municipalité ou un bailleur ne peut donc qu'espérer, par exemple, récupérer le matin une image exploitable d'une infraction commise la veille.

Et que l'on ne dise pas que le raccordement des caméras aux postes de police ou de gendarmerie résoudra le problème puisque, encore une fois, cela s'effectue conjointement à la réduction du nombre de ces fonctionnaires et donc de leur disponibilité pour des missions nouvelles. En réalité, pour avoir des chances de donner des résultats, le système de caméras doit être relié à un centre de supervision dans lequel des opérateurs visionnent les images 24 heures sur 24 et 365 jours sur 365.

De plus, ces opérateurs doivent être assez nombreux pour limiter le nombre d'écrans à visionner faute de quoi, au bout de quelques minutes, les observations montrent qu'ils ne voient plus rien. Ainsi, l'on est en train de rompre l'égalité de traitement du service public et de compromettre toute politique globale et intégrée de prévention de la délinquance, au profit d'un mirage technologique que seules les communes les plus riches pourront s'offrir pour des profits qui s'estimeront davantage en termes de visibilité politique et de sentiment d'insécurité que de lutte efficace contre la délinquance. S'agit-il en tout cela d'une politique rationnelle, efficace et bonne gestionnaire des deniers publics ? Il est permis d'en douter.