A lire dans Rue89.
« Une étrange affaire », c'est ainsi que l'association Human Right Watch (HRW) a baptisé son rapport sur les « violations du droit syndical aux Etats-Unis par des multinationales européennes » publié jeudi.
Etrange, parce que ces grandes entreprises (dont Saint-Gobain et Sodexo) affichent chez elles leur attachement au droit du travail, mais profitent de la législation américaine sur la liberté d'association, moins protectrice qu'en France.
Ce rapport de 128 pages, publié jeudi et fruit d'une enquête qui a duré un an et demi, épingle une dizaine d'entreprises européennes, parmi lesquelles :
- la filiale T-Mobile USA de la société allemande Deutsche Telekom
- la filiale DHL du groupe allemand Deutsche Post
- l'entreprise de distribution alimentaire britannique Tesco
- le géant mondial de la sécurité G4S
- l'entreprise norvégienne Kongsberg Automotive
- la firme hollandaise Gamma Holding.
Parmi elles, Sodexo et Saint-Gobain, qui se sont pourtant engagées à respecter les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT) et de l'OCDE. Toutes deux ont signé le Pacte mondial des Nations unies, qui invite les entreprises à respecter « la liberté d'association et à reconnaître le droit de négociation collective ». Lance Compa, principal auteur du rapport, commente :
« Non seulement ces entreprises violent les normes internationales mais dans certains cas, elles violent même la législation américaine, laquelle n'est pourtant pas très favorable aux salariés.
Pour former un syndicat il faut que la majorité des employés l'approuve : même si 49% d'employés le souhaitent, c'est impossible. Et la loi américaine ne prohibe pas les discours anti-syndicaux, les managers peuvent menacer leurs subordonnés. »
Sodexo, « un employeur engagé » pour « des lendemains meilleurs »
Sur son site, Sodexo se décrit comme « un employeur engagé »
qui appuie sa vocation sur « le respect de principes éthiques : la
loyauté, le respect de la personne, la transparence, la lutte contre la
corruption et la concurrence déloyale ».
Le géant de la restauration collective, qui emploie 100 000 personnes aux Etats-Unis, met aussi en avant son « Better Tomorrow Plan » (qu'on peut traduire par « le plan pour des lendemains meilleurs »). Dans celui-ci, il s'engage auprès de ses collaborateurs à les former et les accompagner pour « les inciter à s'engager dans des programmes et des actions qui contribuent à leur santé et à leur bien-être ».
Pas sûr que les pratiques qui figurent dans le rapport de Human Rights Watch contribuent au bien-être des salariés de Sodexo. Exemples de violation relevée, Jean-Marie Fardeau, directeur France de HRW. : contraindre les salariés à assister à des réunions « avec des projections de vidéos antisyndicats » ; « faire pression et même menacer de geler les salaires ou de perdre son poste ». Le rapport établit par ailleurs :
« Sodexo a soumis des salariés qui avaient tenté de monter un syndicat à des menaces à des entretiens s'apparentant à des interrogatoires, ainsi qu'à des licenciements. »
Depuis la parution de ce document, d'autres plaintes contre Sodexo ont été enregistrées dans l'Ohio par le National Labor Relation Board, agence fédérale indépendante chargée de conduire les élections syndicales. Contactée plusieurs fois par téléphone, l'entreprise n'a pas donné suite.
Chez Saint-Gobain, les salariés votent la dissolution du syndicat
Du côté de Saint-Gobain, même apparence irréprochable. Plus d'une trentaine de sociétés implantées aux Etats-Unis sont recensées sur leur site internet, soit environ 20 000 employés américains.
A gauche, dans l'onglet intitulé « nos valeurs », le respect des employés est ainsi érigé comme une valeur fondamentale du groupe, « unissant les dirigeants et employés et [qui] constitue les principes de comportement de chacun des collaborateurs ».
Parmi les principes d'action de l'industriel de l'équipement : le respect de la légalité ; Saint-Gobain s'engage à s'interdire « de tirer délibérément parti d'éventuelles lacunes ou insuffisances des lois et règlements pour s'écarter des pratiques du groupe ».
C'est dans l'état du Massachusetts en 2002 que les premières tentatives de la direction pour intimider les employés syndiqués commencent. Le nombre d'heure travaillées et par conséquent les salaires sont baissées, et des pressions en tout genre exercées. Finalement, la dissolution du syndicat est votée par les salariés à une majorité de 53%.
Jointe par téléphone, Sophie Chevallon, directrice de la communication de Saint-Gobain, renvoie aux nombreuses correspondances entre HRW et Saint-Gobain Etats-Unis. De son côté, la représentante de Saint Gobain USA, se dédouane dans un courrier :
« Ce sont les employés américains eux-mêmes qui, au cours d'élections libres et justes, ont décidé qu'ils ne souhaitaient plus être représentés par un syndicat. »
Avant d'avancer que la société respecte la liberté d'association et ne l'a jamais entravée. Lance Compa constate que « depuis ce cas, plus rien n'a été signalé dans l'entreprise Saint-Gobain pour cet état ».
La loi américaine permet de ne pas respecter certaines normes
Dans les correspondances publiées par Human Rights Watch, les dix entreprises mises en cause nient avoir violé leurs engagements internationaux. Lance Compa rapporte leur principal argument :
« Ils répondent : “Nous respectons strictement la législation américaine.” Juridiquement, aux Etats Unis, les normes internationales ne s'imposent pas à la loi nationale. »
Arvind Ganesan, directeur du programme Entreprises et droits humains chez Human Rights Watch à Washington, conclut pourtant :
« Même certaines entreprises qui s'autoproclament “progressistes” n'hésitent pas a profiter des insuffisances du droit américain pour étouffer la liberté d'association. A moins que les Etats-Unis ne renforcent leur législation, il paraît difficile pour les travailleurs de ce pays d'exercer leurs droits. »
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