A lire sur Le blog d'Elsa Fayner “Et voilà le travail”
Claire (1), 50 ans, travaille dans un centre de formation à mi-temps. Elle s’investis dans son travail jusqu’à l’overdose. Comment a-t-elle réussi à lever le pied?
Les premières années, dans ce centre de formation continue de l’Education nationale, je m’occupais du pré-recrutement puis des inscriptions des stagiaires. Je les conseillais dans leurs choix d’orientation. J’adorais ce métier. Parce qu’il me permettait d’aider des gens, dans leur projet professionnel. Et puis, ça me laissait du temps pour moi. Je suis assez sportive, et tous les soirs, en rentrant, je faisais une heure de gym pour m’entretenir physiquement. Le week-end, j’allais courir, je marchais beaucoup et nous partions souvent avec mon conjoint visiter des châteaux, ou des vieilles ruines.
“Je n’ai pas réussi à refuser”
Mais, il y a cinq ans, une collègue est partie, sans être remplacée, pour des raisons de budget. J’ai repris son poste en plus du mien. Je n’ai pas réussi à refuser, je voulais que l’entreprise tourne, que les stagiaires aient de bons cours. Puis le poste de ma secrétaire a été supprimé. J’ai récupéré son travail. J’ai essayé de faire comprendre à la direction que ma mission n’était plus réalisable et plus vivable, mais en vain.
“Jusqu’à 23 heures, je dressais des listes de ce je devais faire le lendemain”
J’ai commencé à rentrer chez moi de plus en plus tard : certaines tâches me paraissaient ne pas pouvoir attendre le lendemain, notamment les démarches administratives pour que les stagiaires reçoivent leur rémunération et leur planning dans les temps. Je ne voulaient pas que nos stagiaires, des adultes qui n’avaient pas forcément beaucoup de moyens, pâtissent de nos dysfonctionnements.
Mais, alors, plus question de faire du sport, j’étais bien trop épuisée le soir en rentrant à la maison, ni de discuter avec les amies, je n’en avais plus ni le goût ni le temps. J’avais en permanence la tête au bureau. Durant le repas, je ne parlais que de ça, parce que c’était un soucis permanent : je me demandais sans cesse comment j’allais pouvoir tout accomplir. Alors jusqu’à 23 heures, je dressais des listes de ce je devais faire le lendemain : finir les emplois du temps, demander aux formateurs de faire un contrôle, etc. Je n’arrivais pas déconnecter, à tel point que je n’arrivais pas à m’endormir avant 4 ou 5h du matin.
“Mon médecin a parlé de dépression”
Mes enfants et mon mari s’inquiétaient. Ils voyaient que ça me rendait malade. Je prenais du poids, j’avais des allergies de toutes sortes qui finissaient par me défigurer. Mon corps lâchait, j’avais une tension très basse, un épuisement total qui m’empêchait de sortir de mon lit. Mon médecin a parlé de dépression. Je suis passée devant un comité médical, et j’ai été arrêtée durant dix-neuf mois.
Pendant cette période, dès que j’ai pu, j’en ai profité pour retourner marcher en forêt, admirer les arbres. J’étais soulagée d’être encore là, de pouvoir encore en profiter. Je me suis rendue compte que je m’étais arrêtée de vivre en dehors du travail, que la nature, les loisirs, m’avaient beaucoup manqués.
“Maintenant, je ralentis mes gestes”
Puis j’ai repris le travail, en mi-temps thérapeutique. C’est un emploi du temps aménagé : je ne cumule plus les postes, maintenant, je m’occupe du recrutement des stagiaires, des emplois du temps, de la paie des profs, etc. J’essaie aussi de ne plus me laisser déborder, de ne faire qu’une chose à la fois, de prendre le temps ne serait-ce que de passer aux toilettes, de ralentir mes gestes, de ne pas courir dans les couloirs. À la maison, je ne lis plus mes courriels professionnels, et j’ai décidé de ne plus parler du travail.
(1) Le prénom a été modifié, à la demande de l’intéressée.
Propos recueillis par Elsa Fayner
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