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Vidéosurveillance, géolocalisation, biométrie, cybersurveillance… L'arrivée des nouvelles technologies sur le lieu de travail n'est pas sans conséquences sur le quotidien des salariés et sur le respect des libertés individuelles.
Contrôle des sacs du personnel à la sortie des magasins, caméras dans les réserves…Trop, c’est trop ! Jenny Urbina, membre du Comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT) de l’enseigne de parfumerie Sephora ne mâche pas ses mots : « La Direction part du principe que tous les salariés sont des voleurs ! » lance cette élue CGT. Sur le terrain, elle veille aux dérapages. Dans un magasin de la région parisienne, elle a récemment constaté que des vendeurs n’étaient pas au courant de l’installation de huit caméras. Un défaut d’information contraire à ce que prévoit la réglementation. « Tous ces points constituent une atteinte aux libertés individuelles et on n’exclut pas de le dénoncer un jour en justice," dit-elle.
La grogne gagne les entreprises. « Les représentants du personnel saisissent de plus en plus souvent l’Inspection du Travail et la CNIL car ils prennent conscience de l’impact des systèmes de surveillance sur la vie privée des salariés » constate Maitre Louis Ducellier, avocat en droit social au cabinet D2 avocats. Même si ces dispositifs ont à priori pour vocation la sécurité de l’entreprise, des personnes et des biens, ils peuvent en effet porter atteinte aux libertés individuelles. Pire. « En cas de pratique abusive, ces dispositifs de contrôle s’analysent comme une forme de violence psychologique » explique Bernard Gbézo, directeur de formation de SOLVE, programme de prévention des risques psychosociaux du Bureau International du Travail (BIT), et auteur de « Agressivité et violences au travail » (ESF).
Une tendance à la banalisation
« Pour les employeurs, ces dispositifs de surveillance deviennent un outil de contrôle des salariés, voire de leurs comportements, et plus seulement un outil de sécurisation des biens », confirme Norbert Fort, chef du service des plaintes à la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL). Et les dérives ne viennent pas que des groupes obnubilés par la performance de leurs collaborateurs. Phénomène nouveau, ces dispositifs se banalisent dans les petites structures (commerces de bouche, officines de pharmacie…). Ils envahissent même l’habitacle des véhicules, des chauffeurs et des commerciaux, en particulier. La Big Brother’s mania apparaît dans les chiffres. En 2009, la CNIL a enregistré 200 plaintes liées à la vidéosurveillance, dont les deux tiers issues des entreprises. Un «score » déjà atteint au cours des huit premiers mois de 2010. Les motifs de ces plaintes sont multiples : caractère disproportionné du contrôle, absence d’information du personnel ou de consultation du Comité d’Entreprise, défaut de déclaration à la CNIL, plaintes de salariés se sentant constamment espionnés…
Mesure exemplaire : au printemps dernier, la formation contentieuse de la CNIL a même dû ordonner l’interruption en urgence d’un dispositif de vidéosurveillance mis en place dans une société de transport routier. En théorie, ce système était censé « lutter contre les dégradations matérielles et protéger les salariés. » Que nenni ! « Il plaçait le personnel sous surveillance constante, générale et permanente », rapporte-t-on à la CNIL. Plusieurs salariés étaient filmés en continu à leurs postes de travail, par deux caméras situées chacune à une extrémité de leur bureau commun ! La vidéosurveillance n’est pas l’unique source de dérives. L’an dernier, la Commission a enregistré 65 plaintes liées à la géolocalisation des salariés (50 sur les 8 premiers mois de l’année) et 60 pour la cybersurveillance (30 au cours de 2010).
Respecter le cadre légal
« Dès 1996, le Bureau International du Travail a adopté un recueil de directives sur la protection des données personnelles des travailleurs, rappelle Bernard Gbézo. Ce document met en garde les employeurs : les données collectées ne doivent pas être utilisées à des fins de contrôle des salariés, en particulier de leur comportement. » En France, le Code du Travail soumet les employeurs à une démarche bien cadrée, faute de quoi ils s’exposent à des sanctions civiles, voire pénales. Les recommandations de la CNIL sont aussi très claires. « La décision de l’employeur de contrôler les salariés doit être motivée par un intérêt légitime, prépondérant et nécessaire au fonctionnement de l’entreprise, tels que des problèmes de sécurité », rappelle notamment maître Louis Ducellier. C’est pourquoi il a intérêt, au préalable, à analyser in concreto l’objectif et la finalité d’un dispositif de surveillance », prévient-il. Sans oublier de consulter le CE et d’informer les salariés sur sa décision. Un principe de transparence que cet employeur de la grande distribution semble avoir estimé superflu. Lourde erreur ! Suite à un enregistrement vidéo, il avait pris la décision de licencier pour faute un de ses salariés filmé en flagrant délit de vol. Seulement voilà, le Comité d’entreprise n’avait pas été informé ni consulté avant l’installation du système de vidéosurveillance…Résultat, dans un arrêt du 7 juin 2006*, la Cour de Cassation a tranché : l’enregistrement vidéo ne saurait être une preuve recevable pour établir la faute d’un salarié …
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