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Créatrice de la première consultation sur la souffrance au travail, Marie Pezé est victime de tensions liées à son handicap.
Avec son livre « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés », la psychologue Marie Pezé a contribué à rendre public le problème de la souffrance au travail.
C'est du passé : sa consultation est condamnée depuis qu'elle a reçu, mardi, une lettre de licenciement après des années de bras de fer avec la direction de l'hôpital qui l'employait.
Son histoire est d'une ironie confondante : alors qu'elle reçoit des salariés en souffrance au Centre d'accueil et de soins hospitaliers (Cash) de Nanterre (Hauts-de-Seine), Marie Pezé est licenciée après avoir tenté, en vain, d'obtenir des aménagements de son poste de travail, qui la faisait souffrir.
Psychanalyste et docteur en psychologie, Marie Pezé a créé sa consultation, la première de France, en 1997. Elle est handicapée à 80%, un handicap physique qu'elle nous demande de ne pas évoquer. « La première fiche de la médecine du travail date de 1999 », raconte-t-elle. « Il y en a eu trois au total. A chaque fois, mon cas s'était aggravé. »
L'hôpital ne réalise pas les aménagements demandés
Voici par exemple ce que préconise en 2003 un médecin du travail qui la déclare « apte sur poste aménagé » :
- « pas de port de charges,
- aide à la gestion des dossiers, courriers et photocopies,
- déplacements limités : aide, vestiaire à proximité,
- pas de gestes fins et répétés : dictaphone pour courrier, utilisation d'oreillette téléphonique,
- secrétariat aidant. »
Mais la direction du Cash n'effectue pas les aménagements demandés par la médecine du travail pour ce poste à mi-temps. Marie Pezé est souvent en arrêt maladie. Quand elle exerce -sa consultation accueille 900 patients par an, dont un tiers travaillent dans le même hôpital qu'elle-, ses patients la voient répondre au téléphone, faire des photocopies, porter des dossiers…
Outre ses patients, des magistrats, des médecins du travail ou des psychologues constatent aussi ses conditions d'exercice : pour obtenir le certificat de spécialisation en psychopathologie du travail, dont Marie Pezé est responsable pédagogique, ils assistent à ses consultations.
Des journalistes et des parlementaires la sollicitent
Des élus, des documentaristes ou des personnalités diverses, intéressés par les pathologies que la psychologue a contribué à mettre en lumière, viennent aussi, avec l'accord des patients.
L'automne dernier, le journaliste Jean-Robert Vialet l'interroge dans sa très belle série documentaire sur France 2, « La Mise à mort du travail », qui obtient le prix Albert-Londres 2010. Les députés UMP auditionnent Marie Pezé dans une commission parlementaire et l'interrogent pour leur site Lasouffranceautravail.fr. (Voir la vidéo)
Mais au Cash, seuls les médecins ont droit à un secrétariat et à une imprimante dans leur bureau. Marie Pezé, malgré son handicap, doit aller au bout du couloir, et porter ses dossiers elle-même : quoique docteur, elle n'est pas médecin.
Début 2009, une psychologue du travail qui recevait les employés de l'hôpital (1 500 fonctionnaires, médecins et contractuels) s'en va. Elle n'est pas remplacée avant 18 mois.
« Depuis son départ, j'ai récupéré les salariés qu'elle prenait en charge », raconte Marie Pezé.
Le Cash doit faire des économies
Le 7 avril 2010, elle écrit au directeur de l'hôpital pour, une fois de plus, lui « faire mesurer la nécessité de recruter rapidement un psychologue du travail en remplacement » de la précédente. Deux pages de rappel à la loi et de détails, dont ceux-ci :
« Les agents du Cash sont, du fait même de la population prise en charge par l'institution, confrontés à des situations de violence qu'il ne faut pas banaliser : incendies avec morts, crimes, tentatives de meurtre, viols, coups et blessures, injures, insultes, provocations, incivilités… »
Le directeur, nommé un an plus tôt avec mission de faire des économies, répond le jour-même :
« Madame,
Vous avez oublié parmi les destinataires le premier président de la Cour des comptes. Cette noble institution pense qu'il y a aussi des efforts à faire dans les hôpitaux en matière de gestion. »
Marie Pezé n'est donc pas la seule à souffrir des restrictions budgétaires.
Le 16 juin 2010, un médecin du travail la déclare « inapte définitive ». « Inapte à mon poste, pas à mon travail », dit la psychologue.
« Je faisais le même tableau clinique que mes patients »
La direction du Cash ne communique pas sur le licenciement de Marie Pezé. C'est l'avocate de l'hôpital, Me Anne-Françoise Abecassis, qui s'en charge :
« Mme Pezé a été licenciée en raison d'une inaptitude physique constatée par le médecin du travail. Elle ne souhaitait pas être reclassée. Au contraire, elle a clairement exprimé qu'elle attendait ce licenciement. Les écrits en témoignent. »
Pour des raisons juridiques, Marie Pezé refuse de commenter les propos de l'avocate. Simple réponse :
« Je faisais le même tableau clinique que mes patients. »
A propos des demandes d'aménagement du poste de travail de Marie Pezé, que l'hôpital était légalement dans l'obligation d'effectuer, l'avocate botte en touche :
« Je ne connais pas l'historique de ce dossier, j'en ai été saisie très récemment. Mais elle a refusé un autre bureau, car elle voulait un environnement très immédiatement médicalisé. »
Marie Pezé répond qu'elle reçoit des patients « qui font des poussées d'hypertension et des malaises ».
La direction : « C'est une perte pour l'établissement »
Ils iront désormais les faire ailleurs, puisque Me Abecassis confirme que la consultation de Marie Pezé, qui a la particularité d'être psychologue clinicienne, sera supprimée :
« Mais tout le monde s'accorde à dire que c'est une perte pour l'établissement. »
L'avocate rappelle que la psychologue « a exprimé qu'elle est très fatiguée physiquement, psychiquement » et ajoute, énigmatique, qu'elle n'a pas envie d'en dire plus que ce que Marie Pezé dit elle-même sur son état.
La psychologue, renvoyée à un an et demi de la retraite, perd du même coup tous les emplois afférents : ses fonctions de responsable pédagogique, d'experte devant les tribunaux, et d'enseignante à l'université.
Elle s'apprête à déposer plainte contre l'hôpital. Ses avocats réfléchissent au motif : « Harcèlement » ? « Discrimination au handicap » ?
Voir également nos articles sur : Stress au travail, Bilan, Quand le travail use…, et aussi : La fin des ingénieurs, et Deux loi et un principe pour décrire le Management.
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