Dans la série des articles sur les ingénieurs comme “Les ingénieurs frappés par la Crise économique” ou “On achève bien des ingénieurs” ou “Entreprises: facile d’être mis au placard, dur d’en sortir” et enfin “Un ingénieur Japonais meurt de surmenage”, je vous recommande cet article du journal Le Monde:
Grandeur et décadence des ingénieurs. Après les avoir négligés, sinon méprisés, ne faudrait-il pas enfin s'inquiéter de la quasi disparition des ingénieurs dans les directions générales des entreprises, comme de la haute administration ? La désindustrialisation de la France, n'aurait-elle pas un lien avec la transformation de nos grandes écoles d'ingénieurs ?
Depuis le début des années 1970, le pouvoir est allé aux MBA, aux financiers, aux juristes, aux anciens élèves de l'ENA. Or, ils ont comme caractéristiques communes de mal connaître les métiers des entreprises ou des administrations qu'ils dirigent. Non seulement ils ignorent les enjeux de la recherche mais aussi, à quelques exceptions, la complexité des processus industriels ou de la technique des secteurs qu'ils sont censés gérer ou réglementer. Aussi, les brillants élèves de nos grandes écoles d'ingénieurs comprennent vite là où il ne faut pas aller ! A quoi bon des études scientifiques difficiles qui ne seront pas valorisées ? Ainsi, les plus prestigieuses d'entre elles voient leurs jeunes diplômés choisir d'autres domaines ou d'autres fonctions que ceux pour lesquels ils ont été sélectionnés : la finance oui, la mécanique, l'électronique, le génie civil, l'informatique non. Sur les 25 000 ingénieurs que produit annuellement notre système éducatif, la tête est perdue pour la technologie et l'innovation. Pourtant, qui crée la richesse ? Des ingénieurs comme Bill Gates ou Steve Jobs, ou les traders des salles de marché ?
Jamais nous n'avons autant parlé de désindustrialisation. Jamais les pertes d'emplois industriels n'ont été aussi fortes. Nos hommes politiques se désolent de l'état de nos PME à l'exportation ainsi que de leur faible nombre ; certes elles sont l'objet des attentions des pouvoirs publics, mais tout d'abord cela ne suffit pas et, à l'expérience, on peut se demander si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle. Il n'y a pas d'industrialisation sans ingénieur, Marcel Dassault ou Francis Bouygues n'étaient pas des financiers, mais d'abord des hommes de la technique et de l'innovation, des organisateurs d'équipes. Même s'ils ont l'un et l'autre gagnés beaucoup d'argent, cela n'a rien à voir avec les champions du mécano financier, les yeux rivés sur le dividende des actionnaires et le cours de bourse pour leurs stock-options. Pour eux, les employés ne sont pas des être humains mais des gains de productivité potentiels, quant à l'attachement au territoire, il est nul. D'où les délocalisations, et la désindustrialisation.
Il est choquant pour un ingénieur de qualifier cette crise de "systémique" alors que les règles les plus élémentaires de cette systémique ont été piétinées par les banquiers et les autorités financières avec la complicité au moins tacite de gouvernements qui n'ont rien vu venir.
A l'aube de la révolution industrielle, les facteurs essentiels de l'industrialisation ont été l'hybridation des connaissances scientifiques et des savoir-faire de l'artisan. Puis la révolution française a accéléré le mouvement, avec la création de l'école Polytechnique, toujours la référence de nos grandes écoles, mais aussi premier endroit au monde, bien avant les universités allemandes, où sont venus enseigner des "savants". Dès lors le modèle de formation des ingénieurs "à la française" est établi. Ils vont jouer pendant deux siècles un rôle central dans l'industrialisation du pays.
La fonction des ingénieurs consiste à utiliser les connaissances scientifiques disponibles pour fabriquer des produits/services de qualité au meilleur coût, en mettant tout le monde au travail. La nécessaire maîtrise des connaissances scientifiques et techniques doit donc être complétée par une capacité à organiser le travail et à valoriser les hommes par l'exemple. De surcroît on sait aujourd'hui que les pays où la durée de vie professionnelle est la plus longue sont ceux où les personnes ont pu acquérir une formation longue (plus de six mois) entre 35 et 45 ans, d'où l'importance de la formation tout au long de la vie, comme celle dispensée au Conservatoire national des arts et métiers.
Les enjeux de l'humanité ne manquent pas, la France doit y contribuer. Pour faire vivre 9 milliards d'habitants sans asphyxier la planète, les problèmes vont être immenses. La façon de les aborder ne pourra pas être qu'idéologique. Or la complexité est aujourd'hui dans les objets de la vie courante, elle est donc aussi dans les projets d'entreprise et leurs organisations. C'est tout aussi compliqué de faire aussi beau et simple à l'usage, que de fabriquer des avions modernes ou des téléphones portables. Les Français sont excellents dans certains domaines, pourquoi pas dans tous, à commencer par l'informatique mobile ? Il appartient aux ingénieurs français de redonner confiance dans la capacité de notre pays à résoudre ces problèmes. Le Viaduc de Millau, Ariane ou l'Airbus A380 sont des exemples, il faut les généraliser.
Les pays émergents ont fait le choix de miser sur leur jeunesse, en créant des formations scientifiques, et plus particulièrement les formations d'ingénieurs. Ce qui a pris 150 ans en occident se fera chez eux en quelques décennies. Il suffit de voir, par exemple, comme la ville chinoise se transforme ; or le besoin en énergie de ce pays pour satisfaire la demande légitime de sa population, est de 300 centrales nucléaires. Pour l'instant, ils utilisent le charbon et ouvrent tous les quatre jours une nouvelle centrale thermique ! Plus de la moitié des doctorats américains dans les domaines scientifiques sont obtenus par des étudiants étrangers, asiatiques pour la plupart. Certes certains restent en Amérique du nord mais la majorité retournent chez eux, créent des écoles, ouvrent des laboratoires de recherche, accompagnent des entreprises.
Les efforts français en matière de recherche et les suites du grand emprunt sont prometteuses, mais il ne me semble pas encore que la classe politique ait pris toute la mesure du problème et ait compris qu'il faut revaloriser les formations scientifiques et techniques. C'est une urgence nationale et une condition de survie pour les emplois de notre jeunesse.
Jacques Printz, professeur émérite du Conservatoire national des arts et métiers
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