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Certaines entreprises françaises, tous secteurs confondus, ont déchanté après leur délocalisation. A la suite de l’implantation de leur centre d’appels au Maroc en 2002, les Taxis bleus ont perdu des clients (déçus par la piètre performance des opérateurs), ce qui a déclenché la colère des chauffeurs de taxi.
Quelques mois plus tard, la société est relocalisée à Paris. Le métallurgiste Gantois, qui a délocalisé en Roumanie, regagne Saint-Dié (Vosges), siège historique du groupe, en 2008. Les nombreux contrôles nécessaires pour vérifier la fabrication des aciers pimentaient les factures. Smoby a également réinstallé ses usines dans le Jura, après être parti en Chine, pour contrôler ses jouets avec beaucoup plus de rigueur.
En 2008, Geneviève Lethu, la marque spécialiste des arts de la table, a rapatrié une partie de sa production de l’Asie vers le Puy-de-Dôme et les Vosges. Confronté à l’explosion des cours du pétrole, le fabricant de meubles Samas a réinstallé une partie de sa production chinoise à Noyon (Oise) en 2006.
Aidé et poussé par l’Etat, Renault a décidé en 2009 de rapatrier une partie de la production de la Clio 2 de Slovénie à Flins (Yvelines).
Mais les retours en France restent très marginaux. « Seule 1 entreprise sur 20 ayant délocalisé revient en France, explique El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine. Souvent, ces relocalisations s’accompagnent d’un remplacement de la main-d’œuvre bon marché contre des machines performantes. » Pourtant, certaines entreprises revendiquent leur retour au « made in France ». Ce qu’elles ne disent pas, c’est que seule une faible partie de leur production est réimplantée. Parfois, les relocalisations se passent mal. Le village d’Ormes (Loiret) a fait les frais des hésitations de Risc Group (centre d’appels). En 2008, son directeur promet de créer 110 emplois en France grâce à la relocalisation de ses centres d’appels d’Ukraine et de Roumanie. Frappé par la crise, le groupe se désengage, licencie une cinquantaine de salariés et va s’installer en Tunisie.
Pierre Trouvé | 11.07.2010, 07h00
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Ces entreprises qui reviennent en France
Alors que les investissements des entreprises semblent se redresser, le gouvernement a lancé une aide à la relocalisation dans l’industrie et réfléchit à un dispositif dans les centres d’appels. Mais ce retour au « made in France » est encore marginal.
Renault a décidé de relocaliser la production de son modèle "Trafic", il sera produit dès 2012 dans l'usine de Sandouville (photo AFP/François).
Cela faisait plus d’un an que Sylvain Loiselet, président de la fonderie du même nom, faisait, en vain, le tour des banques pour boucler le financement de sa relocalisation. « Pour rapatrier ma production de Chine, j’ai besoin d’acheter une machine très automatisée, qui va me coûter 12,4 millions d’euros. Mais, pour un prêt de ce montant, les banques voulaient qu’un fonds d’investissement reprenne 50 % de ma société, ce qui m’aurait fait perdre le contrôle de celle-ci. »
Depuis quelques semaines, cet industriel est soulagé : la fonderie Loiselet, créée par son grand-père en 1850, fermée en 2001, puis rachetée en 2003 et sitôt délocalisée en Chine, sera la première entreprise à recevoir l’« aide à la réindustrialisation », créée au printemps. Grâce à ce prêt gratuit, qui couvrira la moitié de son investissement, il pourra emprunter sans faire entrer un autre acteur dans son capital. Et garder la maîtrise de son investissement, qui devrait lui permettre d’embaucher d’ici à deux ans une centaine de personnes à Nogent-le-Roi (Eure-et-Loir).
« Une dizaine d'entreprises sont dans les tuyaux »
Mais Sylvain Loiselet reste un éclaireur. Au cabinet du ministre de l’industrie Christian Estrosi, on estime qu’« une dizaine d’entreprises sont dans les tuyaux » pour toucher cette nouvelle aide, « dont la moitié pour un dossier de relocalisation ». Le succès de ce dispositif est extrêmement modeste à l’image du phénomène des relocalisations, qui a néanmoins pris de l’ampleur depuis cinq ans mais reste minoritaire par rapport aux délocalisations.
« Pour un emploi relocalisé, il faut compter 20 emplois délocalisés », estime El Mouhoub Mouhoud, chercheur à Paris-Dauphine. Un ordre de grandeur avec lequel Jean-François Lécole, PDG du cabinet de conseil Katalyse, tombe d’accord. « Mais, pronostique-t-il, à l’avenir, je pense qu’on sera plutôt à un emploi relocalisé pour trois voire pour deux emplois délocalisés. »
Pourquoi ce retournement de tendance ? Pas à cause des aides publiques, selon El Mouhoub Mouhoud, « qui ne pèseront que très marginalement dans la décision de relocaliser », mais bien parce que les arguments qui ont attiré les entreprises dans les pays à bas coûts perdent du terrain. L’écart salarial, d’abord, se réduit. « On était dans un rapport d’un à dix auparavant entre la France et la Chine, c’est plutôt un à huit aujourd’hui », poursuit Jean-François Lécole.
Les coûts, un facteur déterminant
Or de nombreux coûts annexes sont apparus à l’usage. Notamment les défauts de qualité, qui se sont accumulés au fur et à mesure que les commandes se concentraient sur l’Asie. « Quand vous commandez un conteneur d’assiettes orange et que ce sont des rouges qui arrivent, ce n’est pas terrible », raconte par exemple Edmond Kassapian, PDG de Geneviève Lethu, l’un des pionniers de la relocalisation en France.
Alors que ce spécialiste des arts de la table faisait fabriquer 40 % de ses collections en Asie il y a cinq ans, la proportion est désormais de 10 %. « Dans nos métiers, on a beaucoup de normes alimentaires à respecter et je ne suis pas sûr que toute la vaisselle importée de Chine les respecte », ajoute-t-il.
Autre problème : les délais de livraison. « Les fabricants des pays émergents privilégient les gros volumes alors, parfois, les délais ne sont pas tenus », reprend El Mouhoub Mouhoud. De plus, « en Chine, je paie tout comptant. Or, entre le moment où je commande et celui où j’ai les pièces, il se passe six mois, ce qui occasionne des besoins en fonds de roulement que les banques facturent », explique Sylvain Loiselet.
Enfin, ces délais nuisent à la réactivité des entrepreneurs. « En Asie, je devais commander par conteneurs entiers, alors si un produit ne marchait pas, il fallait le solder. Désormais, je peux demander 200 couteaux à mon fabricant de Thiers et ajuster la production aux ventes », reprend Edmond Kassapian.
Le prix des matières premières responsable
Enfin, ces dernières années, la hausse des matières et de l’énergie a asséné un nouveau coût à l’avantage comparatif des pays émergents. Chez Loiselet, où les pièces en fonte pèsent lourd, « le transport par bateau depuis la Chine revient à 850 000 € par an ». Or, selon Jean-François Lécole, le coût du transport va augmenter, structurellement, « non seulement à cause du cours du pétrole mais aussi parce qu’un jour il faudra bien intégrer dans le coût du transport la dépollution des bateaux qu’on laisse pour l’instant pourrir en Inde ou en Russie. »
Sur une planète où tout le monde consomme du « made in China », le « made in France » devient un argument de vente. C’est ce qu’a compris Didier Martin, le PDG d’Eugène Perma, spécialiste des soins du cheveu, qui a achevé en 2009 le regroupement de l’ensemble de ses productions de soins capillaires, autrefois éparpillées dans cinq pays européens, dans son usine de Reims. « Face aux multinationales concurrentes, nous avons voulu nous différencier. Or, le fait de produire à 100 % en France est clairement ressenti comme un gage de qualité. »
Bref, l’idée d’une France sans usines, énoncée au début des années 2000 par Serge Tchuruk, l’ex-PDG d’Alcatel, ne fait plus l’unanimité. Reste que toutes les entreprises ne relocaliseront pas pour autant. Ne serait-ce que parce qu’« il ne faut pas rêver : produire en France revient toujours plus cher, entre 10 et 20 % selon les produits chez nous », estime Edmond Kassapian.
Les entreprises misent sur l'innovation
Pour certains industriels, comme la fonderie Loiselet, la solution passe par la robotisation de la production, et donc la réduction des coûts de main-d’œuvre. Pour d’autres, comme l’opticien Atol seule une innovation permettant de vendre plus cher un produit permettra de rentabiliser la relocalisation. Mais, pour la plupart des candidats à la relocalisation, la solution passe par un retour des seules activités à valeur ajoutée.
Aquaproduction a ainsi choisi de rapatrier de Roumanie la fabrication de ses parois de douche milieu de gamme, tout en confiant la production de ses entrées de gamme à l’Asie. Le fabricant de mobilier de bureau Haworth, lui, a réussi en 2007 à rapatrier de Chine la fabrication de ses crosses – des petites pièces métalliques qui relient pieds et plateau – en utilisant une technologie de pointe issue de l’automobile qui réduit de 10 % le coût de fabrication. Bref, l’avenir est plutôt à une relocalisation très ciblée.
Nathalie BIRCHEM
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