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Alors que le débat public s’orientait vers l’inégalité fiscale et le bouclier du même nom, la diversion n’a pas tardé. Il fallait s’y attendre, à peine était-il établi que l’Allemagne faisait beaucoup mieux que la France en matière de croissance (+2,2% au deuxième trimestre 2010 pour l’Allemagne contre +0,6% pour la France), que le Medef et le gouvernement s’engouffraient dans une explication volontairement unilatérale : le "coût du travail".
"Ne pas voir, dit la présidente du Medef, que la question de la durée du travail a eu un effet sur la compétitivité de notre pays et a toujours un effet sur la compétitivité de notre pays, c'est vraiment refuser de voir une réalité en face". Et le patron de la majorité parlementaire de surenchérir en proposant d’abaisser les charges sociales et de transférer cette part de fiscalité sur la TVA. "C’est ce qui a été fait en Allemagne et qui a très bien marché". Sauf que la TVA est l’impôt le plus injuste socialement.
Problème pour le "modèle" allemand : voici que les syndicats allemands demandent de fortes augmentations de salaires après toutes ces années de retenue. Volkswagen vient de signer un accord prévoyant 3,2% de hausse générale et le versement d'une prime exceptionnelle de 500 euros. Le syndicat réclamait une hausse deux fois supérieure. Dans la chimie, la construction et les services publics, les syndicats réclament des revalorisations salariales de 5 à 7 %. Alors, moins chers les salariés allemands et jusqu’à quand ?
Amnésie patronale et gouvernementale
La responsabilité incomberait au coût du travail donc, autant dire aux salariés ! Mais pas aux entreprises, pas au patronat français, pas aux politiques économiques publiques, rien de tout cela ; juste un écart de performance dû au coût salarial….
Et pourtant !
- D’abord l’histoire de l’économie française. L’industrie française est très polarisée sur les filières dépendantes de l’intervention diplomatique de l’Etat (Areva, Alstom, EADS, etc.) au détriment de filières plus exposées comme l’aluminium (la débâcle de Péchiney) ou la sidérurgie (Arcelor). C’est l’histoire du capitalisme français, de son patronat, de ses banques qui fait que parmi les vingt plus grands groupes français on n’en compte que trois qui soient de caractère industriel alors qu’en Allemagne huit groupes industriels se placent dans le top 20. Historique aussi, le sous-investissement de l’économie française qui porte d’abord préjudice aux branches industrielles. Ce qui nous renvoie vers deux explications convergentes : d’une part les pratiques bancaire en matière de crédit aux PME et d’autre part l’attrait du capitalisme français pour les activités nécessitant peu d’immobilisations de capital et favorisant un retour plus rapide sur investissement, c’est-à-dire les services. À qui la faute ?
- Un Etat obsédé par la notion de "multinationales… françaises". L’idéologie impériale domine l’intervention des pouvoirs publics envers les secteurs économiques. C’est l’histoire de l’arroseur arrosé. A force de vouloir édifier des leaders mondiaux en choisissant "les secteurs stratégiques sur lesquels concentrer nos efforts" (discours de N. Sarkozy, Charleville-Mézières 18/12/06) on se retrouve avec un tissu industriel trop dépendant de l’organisation mondiale de « nos champions nationaux ». Car, engagée dans sa "multinationalisation", une entreprise vouée aux seules lois de la compétitivité ne peut que poursuivre sur cette trajectoire. C’est alors un vœu pieu que de vouloir la ramener à des préoccupations d’aménagement du territoire et d’emploi. La France et l’Allemagne ont placé différemment le curseur entre tissu industriel national exportateur et déploiement mondial des entreprises. À qui la faute ?
- La question de la compétitivité par l’innovation et la recherche. Un rapport d’information de l’Assemblée nationale en juillet 2010 rappelait que "si la France est en tête des pays de l’OCDE pour l’effort public de recherche avec 1% du PIB, l’économie française souffre du retard important de l’effort privé de recherche (1,1% du PIB) par rapport à de nombreux pays (…) L’effort des entreprises françaises stagne sur une longue période, alors que dans le même temps son intensité a augmenté dans la plupart des autres pays". Alors que la France dépense environ 2% (en 2007) de son PIB en R&D (en dessous de la moyenne de l’OCDE), l’Allemagne elle en dépense 2,5% ; et la France compte 25% de chercheurs de moins (216.000 contre 291.000) que son voisin allemand. À qui la faute ?
Voici trois problèmes de fond soigneusement écartés du débat public afin de ne focaliser l’attention que sur le coût du travail. Trois points qui renvoient à une histoire longue, à des données structurelles du capitalisme français et pas à des effets conjoncturels, seraient-ils salariaux.
La tentation de copier l’Allemagne
Alors que le coût salarial en France était inférieur au coût salarial allemand au début des années 2000, il s’en est rapproché progressivement au cours des sept dernières années. La priorité aux exportations en Allemagne a eu pour contrepartie un gel de la consommation privée.
Le rattrapage en matière de coût effectivement résulte de la moindre progression des revenus nets (2,5% en moyenne annuelle en Allemagne, contre 2,8% en France), des prélèvements assis sur les salaires (1,5% contre 2,7%) et de la baisse du nombre d’heures travaillées en France.
Si l’Allemagne a pu mener une telle politique – hormis ce que cela suppose de défaites sociales pour les salariés – c’est que le ressort de sa croissance est depuis longtemps l’exportation. Alors que son voisin français, moins exportateur pour des raisons tenant à l’histoire de son patronat, dépend très fortement de la consommation intérieure pour la croissance de son PIB.
Du simple point de vue de l’économie française, la tentation de copier l’Allemagne serait donc catastrophique. Du moins en s’attaquant au salaire direct, c’est-à-dire au pouvoir d’achat immédiat. En Allemagne, la part des salaires dans le revenu national est passée de 72% en 2000 à 66% en 2010 !
D’où la proposition d’un responsable de la majorité parlementaire de "baisser les cotisations sociales, qui ne sont payées que par quelques-uns, et faire un transfert sur la TVA, qui est elle payée par tout le monde". Sauf que la TVA est l’impôt le plus injuste socialement, que son augmentation aurait un impact sur la consommation, et que tout cela éroderait un peu plus notre protection sociale.
L’Europe, toujours l’Europe
Aujourd'hui, le premier client de l'Allemagne reste de loin la France (10 % des ventes). Viennent ensuite les Etats-Unis, les Pays-Bas, l'Italie et le Royaume-Uni, la Chine n'arrive qu'en sixième position, à égalité avec l'Autriche. De 2000 à 2009 la croissance annuelle moyenne des exportations allemandes vers l’Europe et celle des exportations vers le reste d’un monde ont été approximativement les mêmes (8,2% et 8,5% ; source : OCDE, International Trade - Harmonised System). Mais les premières sont supérieures aux secondes des deux-tiers ! La conclusion est que le dynamisme des exportations allemandes vers le reste du monde ne peuvent pour le moment compenser leur ralentissement en Europe.
C’est donc sur le marché européen que se joue d’abord la « compétition » franco-allemande. Le modèle d’export allemand est d’abord un « modèle européen » plutôt cohérent, de spécialisations partielles et qui a par ailleurs permis au capitalisme français de s’adonner à son sport favori, celui des champions mondiaux dans les "secteurs stratégiques" (dixit le Président de la République). A l’arrivée, la France réalise moins de 3% de la production mondiale de la machine-outil, dominée par le Japon et l’Allemagne et en Europe, une machine outil sur deux est d’origine allemande ou italienne. Mais la France a Total, Arkema, Air Liquide… LVMH et PPR-Gucci.
Une autre dimension des spécialisations françaises et allemandes concerne le positionnement de gamme des exportateurs. La part de marché allemande est en moyenne double de celle de la France dans le bas de gamme ; dans le haut de gamme, la part de marché allemande est triple. Les pertes relatives de parts de marché ne se différencient pas fondamentalement, entre France et Allemagne, d’une gamme à l’autre, sur les marchés extracommunautaires. Par contre sur le marché intracommunautaire, l’Allemagne gagne des parts de marché dans le haut de gamme, tandis que la France régresse (source : Performances à l’exportation de la France et de l’Allemagne. Rapport. Lionel Fontagné et Guillaume Gaulier).
Question à Madame Parisot et à quelques autres : quel rapport entre ces tendances historiques et le coût du travail qui fut jusqu’au milieu des années 2000 de toute manière plus élevé en Allemagne qu’en France ?
Alors plus chers ou pas ?
S’il est certain que l’Allemagne a nettement resserré sa politique salariale, abaissant ses prix de revient, encore faut-il préciser un certain nombre de choses. D’abord, l’écart compétitif ne peut sérieusement jouer que dans les branches où la masse salariale pèse lourd dans les coûts d’exploitation. Ensuite, s’agit-il du coût horaire moyen ? Du coût salarial global ? Des rémunérations brutes annuelles et des cotisations patronales ? De la seule industrie, de celle-ci et des emplois de service qui lui sont liés, ou encore de toute l’économie ?
L’affaire est un tout petit peu plus compliquée que les bobards de Madame Parisot qui cherche d’abord à exonérer le patronat français de ses responsabilités économiques. C’est ce que montre – sérieusement elle - une note de la Commission des comptes de la Sécurité sociale de juin 2010 (voir ici).
De bien misérables arguments
Expliquer l’affaiblissement de la production nationale et de ses positions exportatrices par l’argument du coût salarial relatif à l’Allemagne est un mensonge. Si l'Allemagne a pu traverser la crise quasiment sans perdre d'emplois, malgré un recul de 4,9 points de son PIB en 2009, c'est notamment parce qu'elle a fortement réduit le temps de travail par du chômage technique. La France elle, licenciait !
Le Medef s’attaque à nouveau au temps de travail, au contrat de travail et aux salaires. Madame Parisot croit savoir qu’en France on travaille 1 heure 12 de moins qu’en Allemagne par semaine… faux ! En intégrant le temps partiel (2 % des emplois en Allemagne, contre 13,3% dans l'Hexagone), un actif occupé travaille 164 heures de plus par an en France et avec une productivité horaire du travail (bien qu'en baisse depuis 2003) encore supérieure à celle de l'Allemagne.
Le patronat s’attaque à nouveau au niveau des cotisations sociales et cherche, comme en Allemagne, à transférer une partie de cette charge (surtout celle relevant de la santé) sur la TVA. En s’exonérant ainsi d’une partie du salaire, il en reporterait la charge sur l’impôt le plus socialement injuste.
Le modèle allemand est-il exportable en France ?
Voilà en tout cas un bel exemple de la manière avec laquelle le patronat et les politiques libérales se servent de la construction européenne. Même l’Allemagne joue maintenant son petit air de dumping social contre ses voisins ! Mais l’idée du copié-collé d’un soi-disant modèle allemand est une impasse. L’allègement des charges par le biais d’une fiscalité de type TVA érodera le pouvoir d’achat et permettra en rien de surmonter, dans l’industrie notamment, les caractéristiques du capitalisme français.
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