Le 1er avril 2010, Patrick Ollier, député UMP des Haut de Seine, maire de Rueil Malmaison et président de la commission des affaires économiques à l’Assemblée Nationale, répondait aux questions d'Hedwige Chevrillon dans Le 12-15 sur BFM. J’ai été tellement choqué par la somme de toute les contres-vérités qui ont été dites par ce député que j’ai voulu y revenir sur ses propos dans ce billet.
Question : « […] est-ce que ça vaut une telle bataille au sein de la majorité ? »
Réponse : “Sincèrement non, parce que c’est une mesure qui est une mesure d’équité, une mesure logique »
Faux. Il est clair que c’est exactement tout le contraire au moment ou l’on est informé qu’en 2009 47 % des bénéficiaires captaient 99 % des remboursements. Parmi les bénéficiaires du bouclier, il existe 14 contribuables qui ont un revenu annuel inférieur à 3.428 euros, mais ont un patrimoine supérieur à 16 millions d'euros ! 1.000 contribuables se voient attribuer un chèque de 370.000 euros, et 100 d'entre eux reçoivent un million, belle équité.
Question : “Mais les réactions sont très violentes...”
Réponse « Il y a quelques personnes effectivement qui réagissent, mais le débat est libre au sein de la majorité. »
Faux, les « quelques personnes qui réagissent » sont en fait 67 % des Français qui contestent le bouclier, dont 39 % qui réclament sa suppression définitive et 28 % sa suspension. 87 % des sondés pensent qu'il faut demander aux plus riches de participer davantage à la solidarité fiscale (sondage CSA paru ce jeudi dans Le Parisien/Aujourd'hui en France). Excusez du peu…
« Que les Français sachent que l’État ne peut pas prendre plus de 50 % de ce que l’on gagne est une mesure d’équité »
Faux, la barrière des 50 % (le chiffre était de 60 %, mais ramené à 50 % par notre président) s’applique avant la déduction des niches fiscales. Cela fait une grande différence, car de nombreux riches contribuables bien conseillés fiscalement ne paieraient que 30 % d’impôts. Cette astuce permet d’ailleurs (c’est très peu médiatisé) à 7076 contribuables (en 2007) disposant d’un revenu de 97 500 euros (plus de 9 ans de SMIC) de ne pas payer d’impôts. Parmi ces 7076 riches contribuables, 671 ont économisé 231 000 euros (plus de 20 ans de SMIC économisés par année d’imposition !) par foyer en moyenne. Ce bouclier fiscal nous a coûté 458 millions d’euros pour 14 000 foyers en bénéficiant (ces contribuables recevront un chèque de 33 000 euros en moyenne soit plus de 2 ans de SMIC). Les 13 riches foyers fiscaux (parmi les 7076) les plus malins ont réussi à ramener leur revenu imposable a 3763 euros (et ne payent donc pas d’impôt) ! Six députés en juin 2008 avaient démontré que "Par l'effet des réductions et crédits d'impôt dont l'utilisation est croissante avec le niveau de revenu, on constate une véritable dégressivité de l'impôt : plus un très gros contribuable a des revenus élevés, moins il paie d'impôt en proportion" ainsi sur 10 000 plus riches contribuables, 150 n’ont pas payé d’impôt. Sur les 1 000 plus hauts revenus, 116 ont réduit leurs impôts de 93 %. Le bouclier fiscal n’est donc qu’un leurre qu’on agite au nez des Français…
« Les Allemands ont introduit ce que l’on appelle, à tort, le bouclier fiscal, c’est un taux maximum d’impôt, dans leur Constitution. C’est stable et personne ne proteste. »
Faux, il n’y a jamais eu de bouclier fiscal ni quelque chose de similaire en Allemagne ! D'ailleurs, Hedwige Chevrillon tente de lui expliquer, mais cela tourne court.
« […] il faut que l’on ait une politique fiscale stable, il faut que les Français sachent à quoi s’en tenir, et ceux qui paient des impôts, car je vous signale qu’il y a près d’un Français sur deux qui ne paie pas d’impôt, doivent savoir qu’ils ne paieront pas plus de 50 % de ce qu’ils gagnent. »
Un sur deux ne paye pas d’impôts, donc faisons un cadeau également aux autres…
Question : « […] Vous avez un sondage qui montre que 39 % des Français considèrent que le bouclier fiscal est contraire à la solidarité. Est-ce qu’il ne faut pas au moins sortir la CSG et la RDS de ce bouclier fiscal ? »
Réponse « C’est la masse des prélèvements fiscaux, quels qu’ils soient, que l’État fait sur les contribuables, qu’il faut limiter à 50 %. »
Il faudrait surtout y introduire de manière urgente toutes les niches fiscales, cela donnerait un vrai 50 %, car, comme vu plus haut, le taux du bouclier est plutôt de 30 % maximum si l’on utilise toutes les niches prévues par la loi…
« Mais ces 585 millions d’euros qu’est-ce que vous croyez qu’ils deviennent ? […] Je sais qu’il y a des gens qui m’écoutent ici et qui sont soucieux du développement économique, des développements des entreprises et du pouvoir d’achat »
Faux, le pouvoir d’achat n’a rien a voir avec le bouclier fiscal, pensez vous que les 1.000 contribuables se voient attribuer un chèque de 370.000 euros des impôts vont augmenter leur pouvoir d’achat et dépenser plus ? Bien entendu que non, ils vont surtout placer leur argent. Ceux qui ont un réel problème de pouvoir d’achat ne sont pas concernés par le bouclier.
« C’est de l’argent qui est réinjecté dans le circuit économique et qui contribue à créer de la richesse »
Faux, seule une partie très négligeable sera réinjectée dans l’économie, le gros ira à la finance sous forme de placement souvent à l’étranger (pour plus de rentabilité).
Question : « Comment convaincre les Français ? »
Réponse « Il y a eu, dès le départ, un dérapage sémantique parce que l’on n’aurait jamais dû appeler cela un bouclier, car le bouclier donne l’impression que l’on se défend alors qu’en vérité c’est un taux maximal de fiscalité et d’impôt ».
Oui, toute la polémique du moment est en fait une affaire de sémantique… Un peu juste comme argument.
Question : « Est-ce qu’il faudra augmenter les impôts ? »
Réponse « Le problème n’est pas d’augmenter les impôts, c’est une fausse solution parce que ce que cela rapporte casse la mécanique de développement, le problème est de créer les conditions de la croissance »
Faux, le problème de la dette c’est que nous devons la payer et également payer ses intérêts. Il est donc urgent de la rembourser au plus vite et de ne pas en créer d'autres. Croire que si l’on n’augmente pas l’impôt est suffisant pour créer de la croissance est d’une naïveté déconcertante. En réalité, la politique a peu de moyens pour influer sur la croissance. En maintenant cette idée de ne pas augmenter nos impôts, le gouvernement fait plaisir à tous, mais crée la dette future.
Question : « Comment rembourser les déficits publics »
Réponse « Par la croissance qui crée de la valeur ajoutée, qui crée de la richesse et qui fait rentrer dans les caisses les moyens du remboursement […] »
Nous savons tous que l’Europe et le France sont en panne de croissance, et ce, depuis des dizaines d’années. Aucun gouvernement n’a pu améliorer sensiblement cette situation. Croire au retour de la croissance forte est non seulement utopique, mais surtout un chèque sur l’avenir, le prochain gouvernement se débrouillera avec les déficits. Nous pouvons parier ici que les impôts augmenteront.
« On reconnait que la France s’en tire le mieux dans le contexte européen grâce aux mesures que le président de la République a prises pour sauver les banques […] »
Le sauvetage des banques a été effectué dans tous les pays importants du monde et le sauvetage n’a pas été mieux réalisé en France qu’aux États-Unis par exemple. Le sauvetage des banques et la résistance de la France n’ont aucun rapport. La résistance de la France est uniquement due à son modèle social que le gouvernement ne cesse de raboter.
« Je voudrais parler d’équité, Madame si vous le permettez, sur le bouclier fiscal, je ne pense pas qu’il faille changer en revanche, à l’avenir on va avoir des sujets importants qu’il va falloir traiter, que ceux qui gagnent le plus, contribuent, pour régler ces problèmes, d’une manière plus forte que ceux qui gagnent moins, oui c’est de la justice […] je pense par exemple demain aux retraites »
Cela veut-il dire que les retraités seront solidaires plus demain qu’aujourd’hui ? Vont-ils payer pour les déficits plus que les autres?
Question : « Est-ce qu’il faut réfléchir à supprimer le bouclier fiscal ou l’ISF ou sortir la résidence principale ou créer une 5e tranche »
Réponse « Je répète qu’il faut une stabilité »
La stabilité de l’impôt est une vieille définition historique du « bon » impôt. Nous remarqueront que l’impôt doit être stable lorsque l’on a pas envie de le changer, mais la plupart de temps il est modifié. Il ne suffit que de penser a la taxe carbone finalement retirée. Il s’agit donc d’une magnifique pirouette.
« Que ceux qui gagnent le plus dans ce pays peuvent mieux contribuer à l’effort national, je pense aux retraites […] C’est une piste de réflexion dans laquelle nous sommes lancés »
Le gouvernement compte bien, donc, faire payer les dettes d’une manière ou d’une autre par les retraités !
« Il y a un manque d’explication de notre politique […] il y a un manque d’effort de pédagogie qui n’a pas été fait parce qu’il y a eu énormément de réformes engagées et que l’on a pas eu le temps de toutes les expliquer »
Faux, évidemment la crise, le manque de pouvoir d’achat, les difficultés économiques, la dette galopante ne sont pas des problèmes d’explication de mesures, mais bien du contenu de ces mesures. Si votre patron vient vous voir pour vous dire qu’il n’est pas satisfait de vos résultats, pensez-vous réellement lui répondre "« c’est parce que vous n’avez pas compris ce que j’ai fait, je vais vous expliquer… » ?
« Les chiffres nous donnent raison, on a voté un déficit de 7,9 % on a appris il y a quelque jours que le déficit de l’année dernière était de 7,5 % c’est pas énorme […] qu’est-ce qu’on nous dirait pas si le déficit par rapport au 7,9 % que l’on a voté était de 10 ou 12 % il est moins important et personne l’en parle ! […] Il faut mieux expliquer [les réformes] c’est vrai et vous verrez que les choses s’arrangeront parce que les résultats seront au rendez-vous, j’y crois !”
Faux et très fort ! Si nous étions plus mauvais, nous serions plus critiqués ! Oui c’est incontestable. 7,9 % par rapport à 12 % (imaginaires) sont peu, mais par rapport aux 3 % souhaitables et auxquels la France s’était engagée, c’est énorme. Nous n’avons jamais entendu personne dire que la France était exemplaire ou même bien placée en matière de dette en ce moment comparée aux autres. Certains évoquent même l’idée que la France sera la prochaine Grèce… C’est dire ! Chaque année, la dette coûte environ 50 milliards d'euros : C'est l'équivalent de 20% du budget de l'état, soit 89% de l'impôt sur le revenu ou encore 140% de l'impôt sur les sociétés qui sert à payer les intérêts de la dette nationale. A la naissance, un petit français doit donc déjà 18 000 €. Mais sinon tout va bien, « c’est pas énorme »…
Ce graphique tiré de l’étude du Mac Kinsey Global Institute montre les dettes publiques comparée des différents pays industriels du monde. C’est assez éloquent. Evidemment le pense que le député se base sur l'agence de notation Fitch qui estime que la France, qui a mieux traversé la crise que ses pairs de la zone euro, mérite toujours son excellent «triple A». Mais la France reste le pays le plus endetté parmi les Etats profitant de la même notation. Ainsi l'agence s'attend à ce que le rapport endettement sur PIB s'élève à 88% en 2011, un niveau similaire à celui du Royaume-Uni, et inférieur seulement à celui des Etats-Unis, parmi les pays les mieux notés. L'agence de notation regrette que « peu de mesures de rigueur ont été prises jusqu'à présent » pour atteindre l'objectif affiché de 3% de déficit en 2013. Pire, il existe « un risque réel de dérapage budgétaire ». « Le ratio de dette s'est constamment détérioré depuis la fin des années 70 », note-t-elle.
Update 8/4/2010: D’après les données communiquées hier par le ministre du Budget, François Baroin, lors de son audition à la commission des finances de l’Assemblée nationale, 821 redevables de l’impôt sur la fortune (ISF) ont quitté la France en 2008 contre 719 en 2007.
2 commentaires:
Ci-joint un billet de 2009
Cordialement
Avril 2009
Monsieur Nicolas BEYTOUT – Journal Les ECHOS,
L’article, Page 14 de votre édition des 3-4 avril, « Le bon côté du bouclier fiscal » dont il est souligné en gras que les restitutions très conséquentes consenties aux riches bénéficiaires sont précisément le signe de son utilité, émarge à ce registre de légèreté – sinon d’irresponsabilité -professionnelle où se cumule tout à la fois,
l’absurde, la provocation et l’inconséquence technique.
L’absurde
Qu’à l’aube du XXI siècle, on reste le défenseur d’un « Bouclier » comme instrument d’efficacité fiscale et de sécurité du contribuable, relève à l’évidence de cette « illusion du rempart » dont tout Français curieux a minima de son histoire collective ne peut ignorer le désastre où nous a conduit sa dernière traduction militaire … la ligne Maginot.
Dans un Monde ouvert, interdépendant, communicant … seuls le « mouvement » et la rapidité de sa mise en œuvre sont efficaces … non le Bouclier - arme inutile abandonnée dès la fin du Moyen Age.
La provocation
Comment ne pas mesurer le « décalage » de la teneur comme de la forme de ce papier,
- face à la crise et à la mobilisation financière gigantesque qu’elle exige - d’un montant supérieur à celui qu’ont imposé les guerres mondiales,
- face aux privations déjà réelles pour les plus faibles et demain pour tous ceux qu’un chômage massif va durement frapper, et vous le savez, en 2009 et 2010.
L’inconséquence technique
Une fiscalité moderne, peu coûteuse à lever, productive, économiquement neutre, a toujours été fondée sur :
- des taux non confiscatoires même si progressifs avec effectivement des maxima plafonnés,
- un dispositif clair pour tous et à ce titre basé sur un nombre limité d’assiettes simples, larges, universelles, transparentes, équitables.
Et c’est bien l’incohérence, l’iniquité et l’absurdité économique de nos assiettes fiscales surannées qu’il est urgent de « réformer » (mais là, il y faudrait un dessein et un vrai courage politique)
… sauf à entretenir pour la galerie, les illusions d’un « bouclier » qui, aussi longtemps qu’on en cause, dispense de mettre les pieds dans le plat … de l’assiette.
Très cordialement
Juste une rectification à propos de l'endettement, si les chiffres sont justes, il faut cependant les tempérer avec le taux d'épargne. Celui des Français est l'un des plus important au monde (pour combien de temps on ne sait pas) et c'est ce qui fait que la confiance perdure...
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