J’ai retrouvé un texte de Paul Midler, fondateur et président de Chine Advantage, une entreprise qui offre des services d'externalisation et de gestion de la chaîne d'approvisionnement de sociétés américaines et européennes, datant de 2007 et qui résume bien la situation et les risques de la sous-traitance en Chine. Il décrit ce qu’il appelle « l’estompage de la qualité » produit par « une habitude volontaire et secrète de l’accroissement des marges de profit grâce à une réduction de la qualité des matériaux utilisés ». L’article complet en anglais ici.
Un des mes précédents article soulignaient l’impact de la crise sur la qualité des produits, cet article de 2007 (précrise, donc), souligne, lui, l’impact qualité de la sous-traitance chinoise (mais je suis intimement persuadé que le problème n’est pas un problème uniquement chinois, mais bien un problème général de sous-traitance low-cost). Ainsi il y a 6 ans lors du début de l’essor des lecteurs de musique MP3 j’avais visité une usine qui fabriquait des MP3 vidéo ridiculement petits et avec un design sympa en Chine (conçus et fabriqués). Je voulais alors monter une importation de ces produits vers la France. J’ai dû reculer, car, sur les 5 échantillons prélevés sur la chaîne de fabrication, un ne fonctionnait pas du tout et l’autre avec des boutons qui ne répondaient pas toujours. J’avais alors disséqué un produit et avait compris qu’il fallait abandonner l’idée de travailler avec cette usine : la carte électronique et le clavier tenait en place dans le boîtier par de petits bouts de papier journal pliés à la main…
Dans l’article de Paul Midler, il s’agit d’un autre type de problème : ceux soulevés par la fabrication sous-traitée en Chine de produits occidentaux suivant un cahier des charges précis. Sujet émaillé par les nombreux scandales ces dernières années de jouets, appareils électroniques, nourritures potentiellement dangereux et retirés de la vente.
Des origines profondes
L’auteur réfute l’argument, pourtant logique, que la Chine, en se développant, verra la qualité de sa production augmenter naturellement. D’après lui, cette « tradition » Chinoise de rogner sur la qualité de la production lorsque la demande augmente, prend ses racines au 19e siècle lorsque la demande occidentale de soierie explose et que ce nouvel eldorado provoque l’entrée, sur le marché, d’acteurs moins scrupuleux désireux de profiter de cette manne. Dans le même temps, les premiers fournisseurs faisaient de même à cause de la concurrence des premiers. C’est cette attitude qui a conduit les acheteurs au début du 20e siècle à se tourner vers le Japon plutôt que vers la Chine pour leurs fournitures de soierie. Ainsi vers 1930, le Japon exportait le double de soierie que la Chine.
Le phénomène
L’estompage de la qualité se manifeste par une production strictement conforme lors des premières livraisons, puis, à chaque nouveau cycle de production, l’usine rogne toujours un peu plus sur la qualité et la quantité des matériaux utilisés. Paul Midler cite l’exemple d’un produit de beauté dont la fabrication chinoise avait donné entière satisfaction et qui un jour a eu un problème d’effondrement des emballages qui progressivement était devenu de plus en plus « mous ». L’explication finale donnée par l’usine chinoise fut que le sous-traitant des boîtes en carton avait progressivement dégradé la quantité de matière de l’emballage. Ce qui est plus gênant, comme le montre cette histoire, c’est que l’estompage de la qualité est souvent réalisé sur des parties du produit qui sont inattendues ou sensées être invisibles (dans un premier temps). Ainsi, ce phénomène échappe souvent aux contrôles des donneurs d’ordre.
Dans le précédant exemple, l’estompage de la qualité n’est pas grave pour la sécurité des clients, mais grave pour le donneur d’ordre qui ne pouvait plus empiler ses produits sans effondrement, d’où un manque a gagner. Dans d’autres cas, la sécurité des clients finaux est réellement en jeu. Ainsi, Paul Midler cite l’exemple de structures en aluminium destiné à la construction de gratte-ciels, un système breveté par une société américaine et fabriqué en Chine. Lors d’un contrôle qualité de routine, les inspecteurs ont constaté que certaines structures avaient 90 % du poids initial prévu au cahier des charges ! Que s’est-il passé ? Le propriétaire de l’usine avait volontairement diminué la quantité de matière première. Les gains ainsi réalisés allaient directement dans sa poche. Mais dois-je indiquer que ce qui est vrai pour les produits sous-traités en Chine est également vrai pour les produits destinés au marché interne. Régulièrement, en Chine, apparaissent des scandales d’immeubles qui s’effondrent à cause de défauts volontaires dus à des réductions de coûts. L’estompage de la Qualité est donc un phénomène commun en Chine consistant en l’amoindrissement progressif de la qualité des produits fabriqués jusqu’à ce que le client final s’en rende compte ou qu’une catastrophe arrive. J’ai interrogé à ce sujet un Chinois sur les raisons profondes de cette attitude dommageable au pays entier. Voici sont interprétation : Les petites entreprises sont souvent crées par des acteurs locaux sans éducation et qui n’ont qu’une idée : profiter le plus possible et au plus vite de la manne d’argent que représente la petite usine. Ces nouveaux riches n’ont qu’un seul dieu, l’argent, au mépris de la vie des autres, parfois. Il peuvent le faire car tant que leur intérêt coïncide avec celui du pays, les autorités ferment les yeux. Lorsque cela ne coïncidera plus, ils pourront toujours disparaître avec l’argent mais souvent, faute de lois sévères, ils n’ont même pas besoin de le faire.
Pourquoi cette situation persiste-t-elle ?
Malheureusement, ces attitudes persistent, car les donneurs d’ordre n’ont pas toujours la volonté de rectifier le tir chez leur sous-traitant. Surtout, bien entendu, lorsque la non-conformité est jugée mineure et que son éradication serait complexe, difficile et/ou longue. Une des autres raisons de cette tolérance est que sont systématiquement privilégiés les délais de fabrication (et donc de livraison) à la qualité des produits. Pourquoi ? Simplement parce qu’un retard de livraison est directement visible par le client final et peut constituer un manque à gagner direct (pénalité, perte de part de marché), alors qu’une légère non-conformité ne se verra pas forcément par le client, mais risquera de diminuer la durée de vie du produit. Comme cela arrivera dans (relativement) longtemps, cet aspect est négligé. C’est ainsi que, comme je le signalais dans un article précédent, la qualité des produits est constamment nivelée par le bas et que si, autrefois une machine à laver durait vingt ans, aujourd’hui une durée de vie de 5 ans est presque un miracle…
Pourquoi se battre contre l’estompage de la qualité est long et coûteux ?
a. Le fournisseur a des moyens de pression importants
Simplement, car le donneur d’ordre lorsqu’il s’aperçoit de la dégradation de la qualité et demande leur remplacement aux frais de l’usine, peut avoir les soucis suivants : Menace de terminaison du contrat. Ce qui est gênant, car il faudra trouver un autre fournisseur, le former sans garantie du même résultat final. Risque d’augmentation des tarifs en retours
Malheureusement, ces pratiques sont mises en place par les fournisseurs en toute connaissance de cause des risques encourus et des moyens de pression en retour. Ce jeu, tant qu’il reste un sport généralisé, peut être pratiqué sans aucun risque par le fournisseur.
b. Trouver un fabriquant sérieux et compétant est difficile, le former est long et coûteux
Par conséquent les usines sont souvent tenues secrètes par les donneurs d’ordre. Ce qui a pour conséquence indirecte que leurs « erreurs » n’ont pas de publicité et ne sont pas connues. Les fournisseurs, tenant leur donneur d’ordre, protégé par le secret sur leurs pratiques réelles, sont libres de continuer sans risque.
c. En cas de rappel d’un produit, seul l’importateur paye
Pourquoi ? Les seuls moyens de pression sont le payement et l’action en justice.
Ne pas payer le fournisseur est impossible, car les fournisseurs chinois demandent un versement lorsque la marchandise quitte l’usine, lorsque la catastrophe arrive, il est donc trop tard. Ce qui est terrible, c’est qu’en occident les délais de payement sont beaucoup plus longs et donnent donc plus de sécurité au donneur d’ordre. Faire une action en justice en Chine est impossible actuellement. Le fournisseur aura toujours finalement gain de cause.
d. Tester les produits par des laboratoires tiers ne marche pas
Cette façon de procéder, pourtant réputée comme efficace ne marche pas dans ce cas. Les fournisseurs s’arrangent pour contourner le test. Paul Midler cite le cas de cette entreprise américaine qui souhaitant fabriquer son savon liquide en Chine a organisé un test sur la production d’un fournisseur sélectionné. Le fournisseur a envoyé dix échantillons à un laboratoire indépendant international, 9 échantillons ont échoué et un a passé le test. Seul le résultat positif a été communiqué au donneur d’ordre évidemment. Évidemment, laisser le fournisseur gérer les tests était un peu naïf.
D’une manière générale la méthode de certifier les produits par de laboratoires indépendants ne marche pas bien. Une étude citée par Paul Midler indique que sur 200 produits électriques chinois ayant été rappelés, 25 % avaient obtenu l’approbation d’un organisme d’essai international (étude menée par la US Consumer Product Safety Commission en 2001). Si les laboratoires indépendants n’arrivent pas a attraper toutes les supercheries, comment un importateur moins bien armé que ces laboratoires peut-il le faire seul ?
Faire des contrôles par des organismes privés n’est pas non plus une solution. Ainsi, une usine fabriquant du contre-plaqué a vu un lot rejeté pour la mauvaise qualité du produit après contrôle. Que s’est-il passé ? La marchandise défaillante a été discrètement mélangée à de la marchandise conforme pour les livraisons suivantes… Faire un contrôle exhaustif est trop cher, c’est donc une pratique courante. Une confiance réciproque est donc nécessaire.
e. Les grosses usines sont chères
Une solution parfois choisie est de sélectionner des grosses usines, qui, de fait, possèdent plus de savoir-faire et susceptibles de protéger leur crédibilité. Mais, bien entendu leur production est plus chère que les petites usines ! Paul Midler en déduit qu’il n’existe pas d’économies d’échelle en Chine. Pourtant, le problème n’est pas celui-ci. Appliquer des méthodes plus sérieuses et éprouvées, responsabiliser ses employés en les payant mieux, faire de nombreux contrôles qualité, mettre au rebut les produits non conformes (au lieu de les livrer tout de même) est tout simplement plus cher ! Si bien que, même avec les économies d’échelles, les prix sont plus hauts. Il y a surement aussi la volonté des propriétaires de ces usines sérieuses de valoriser leur savoir-faire et leurs efforts.
f. Les investissements doivent est rentabilisés en trois ans !
L’explication donnée par Paul Midler est que si les petites usines en Chine commencent souvent par des investissements publics, leur développement futur en revanche, est privé. Or les investisseurs chinois ont gourmands et veulent souvent des rentabilités a trois ans. Plus l’usine investit, plus les prix grimpent ! Il s’agit d’une course contre la montre : rafler toutes les commandes possibles tant que c’est possible. Comme si les Chinois se doutaient que la situation actuelle était temporaire. Cette situation est renforcée par des décisions politiques changeantes. Par exemple, les tensions entre les USA et la Chine sur le taux de change bas de la monnaie chinoise ont conduit la Chine a diminuer brutalement les rabais fiscaux accordés aux usines. De telles brusques décisions renforcent le sentiment d’urgence. D’ailleurs, d’une manière générale, un critère important pour des investisseurs est la stabilité politique, juridique et fiscale d’un pays. En Chine ce n’est pas différent. Pour les investisseurs chinois il est bien souvent plus urgent de prendre des parts de marchés dans l’immédiat plutôt que de sécuriser le long terme qui n’est, de toute façon, pas sécurisé par l’attitude volatile du gouvernement. La recherche du profit maximal rapidement par tous les moyens ne favorise pas leur développement durable. La victime de cette course est bien entendu la qualité. Paul Midler fait remarquer avec justesse que cette situation est très différente des situations passées et présentes de la Corée et du Japon qui privilégient le long terme
La responsabilité des importateurs
La responsabilité des donneurs d’ordre est également indéniable. La recherche, sans cesse, de l’accroissement de leurs marges et donc, de la diminution des prix, va dans le sens du court terme et dans la qualité déficiente Dans les appels d’offres ou le prix est le principal critère, les fournisseurs qui répondent avec une offre de qualité sont éliminés systématiquement.
Ces comportements des donneurs d’ordre déresponsabilisent les fournisseurs de tout problème qualité. Si les produits ne sont pas conformes, c’est l’importateur qui a signé la commande en pleine connaissance de cause des échantillons initiaux de production. Si le transport corrompt la marchandise, c’est en demandant toujours des prix plus bas que les options de transport ont été « optimisées ». Bien sûr une telle attitude n’est pas propice à la création de relations sur le long terme. Aussi de nombreux importateurs regardent vers des pays alternatifs de production. Tant que les donneurs d’ordre tireront la compétition vers le bas, la Chine ne pourra pas sortir de ce cercle vicieux. Le Japon autrefois a connu des affres similaires, et il a pu s’en sortir en devenant progressivement exemplaire du point de vue de la qualité. Ainsi, l’entreprise Panasonic a réussi pour nombre de ses produits, à avoir le plus bas taux de défaillance du marché concernant les produits électroniques. Réussir le virage de la Qualité Totale nécessite un engagement fort du pays, de manière à ce que la production de qualité « entre dans les gênes » du pays.
Conclusion
Comme je l’indiquais dans un précédent article, le consommateur a été une victime naïve de ces évènements : les deux seuls partis qui ont profité de cette situation sont les fournisseurs chinois bien sûrs mais également les donneurs d’ordres qui ont vendu plus et avec une meilleure marge. Mais l’équation n’a pas changé : « pouvoir d’achat » = (« nombre d’achats possibles » * « qualité ») / « revenus réels ». Ainsi, en délocalisant la production, nous avons augmenté le nombre de produits pouvant être acquis par un ménage, mais également baissé la qualité de ces produits et finalement nous avons diminué nos revenus (hausse du chômage impliquant une baisse des revenus). Il faut ajouter que la baisse de la qualité correspond un achat à crédit sur la planète : Acheter des produits « jetables » augmentent le volume des poubelles, la consommation de carburant (il faut refabriquer plusieurs fois le même produit, puisqu’il dure moins longtemps) et déplace la production dans des pays moins restrictifs sur les normes de pollutions.
3 commentaires:
Remarquable analyse ! merci de nous la faire partager. J'en fais de même aussitôt sur facebook.
Analyse très pertinente et bien argumentée.
Je citerai ce nouvel article sur notre portail ( http://wwww.achetons-francais.net )
Il y a cette affaire de fauteuil chinois toxique :
http://www.lavoixdunord.fr/Region/actualite/Secteur_Region/2008/09/25/article_jean-louis-bernard-et-leurs-fauteuils-to.shtml
Ils font souvent n'importe quoi.
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