Aberrant, kafkaïen, ubuesque... A Saint-Amarin (Haut-Rhin), les habitants et les élus ne savent plus quelle épithète employer pour décrire l'imbroglio dans lequel est empêtré l'un des fleurons de l'industrie textile locale.
Il y a quelques jours, les salariés de la SAIC Velcorex, mise en liquidation au début du printemps, ont été placés face à un choix cornélien : soit ils disaient non à leur réintégration dans cette société et SAIC Velcorex avait une chance de redémarrer ; soit ils disaient oui et la perspective d'une reprise s'éloignait. Une douloureuse alternative dictée par le droit.
Implantée dans une vallée sinistrée sur le plan économique, SAIC Velcorex fit, un temps, partie du prestigieux groupe alsacien DMC. En 2008, l'entreprise est tombée dans l'escarcelle de Bernard Krief Consulting, qui l'a laissée exsangue au bout d'à peine deux ans. Le 31 mars, la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Mulhouse l'a mise en liquidation sans poursuite d'activité, entraînant le licenciement du personnel.
Quelques jours avant cette décision judiciaire, le patron d'une PME alsacienne de conception de produits textiles, Pierre Schmitt, avait manifesté son intérêt pour cette société mais sans déposer une offre en bonne et due forme. Il est revenu à la charge plusieurs semaines plus tard, convaincu que cette affaire était "viable" et attaché "au savoir-faire pointu" qu'elle avait développé sur le créneau du velours.
Mais pour relancer SAIC Velcorex, M. Schmitt a posé certaines conditions : ne garder, dans un premier temps, que 50 salariés (sur 135) en retenant ceux dont le profil correspond à sa stratégie. Problème : lorsqu'un investisseur veut racheter une "entité économique autonome" mise en liquidation sans poursuite d'activité, il est tenu de conserver l'intégralité du personnel.
Cette obligation, qui ne joue pas nécessairement dans l'hypothèse d'un redressement judiciaire ou d'une liquidation avec poursuite d'activité, découle de la loi et de la jurisprudence, explique Me Jean-Yves Simon, l'avocat qui conseille M. Schmitt sur le plan du droit du travail. Le législateur a ainsi cherché à éviter que des opportunistes attendent la liquidation définitive d'une entreprise pour acquérir des actifs à peu de frais et pour réembaucher une partie de la main-d'œuvre sur des critères différents de ceux inscrits dans la loi (ancienneté, charges familiales, etc.).
Que faire ? Réintégrer toute l'équipe de SAIC Velcorex ? Impossible dans le cadre du projet élaboré par M. Schmitt. Jeter l'éponge ? Celui-ci ne voulait pas s'y résoudre. Une troisième option a donc été envisagée : proposer aux salariés la poursuite du contrat de travail et leur demander s'ils sont d'accord ou non, sachant que dans l'affirmative, ils compromettaient la renaissance de la société.
Cette offre déconcertante a d'abord été débattue lors d'une réunion publique, fin juin, puis a fait l'objet d'un courrier envoyé à l'ensemble des salariés. A charge pour eux d'y répondre par écrit. A ce jour, 84 personnes ont dit non à la poursuite du contrat de travail de manière à permettre la mise en place du projet de M. Schmitt. Vingt-quatre ont exprimé la position inverse, de peur d'être pénalisées : elles craignaient qu'en renonçant à leur droit à la réintégration, le versement des indemnités de licenciement soit remis en question et que Pôle emploi considère qu'elles ont refusé un poste.
Aujourd'hui, le président de la communauté de communes de la vallée de Saint-Amarin, François Tacquard, se démène pour que le service public de l'emploi garantisse aux réfractaires qu'ils ne seront pas lésés s'ils disent non à leur réembauche. Pour l'élu local comme pour M. Schmitt, cette affaire montre que certains aspects de la loi sont de nature à décourager des candidats à la reprise d'activité. A leurs yeux, un toilettage s'impose.
Bertrand Bissuel
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