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« Non aux barrages en Patagonie !
La Patagonie n'est pas à vendre !
Non à HidroAysén ! »
C'est avec ces cris et des banderoles plein les rues que des dizaines de milliers de manifestants défilent depuis plus d'une semaine dans les grandes villes du Sud du Chili, et principalement en Patagonie, où les carabiniers les ont violemment réprimés. Ils protestent contre HidroAysén, un projet de construction de cinq méga-barrages hydro-électriques.
« Non à HidroAysén »
Ce slogan signifie qu'ils ne veulent pas que la Patagonie meure. Cette région du bout du monde est l'une des rares encore intactes de la planète et représente la troisième réserve d'eau douce dans le monde.
Si ce projet aboutit, la distribution de l'électricité produite par les centrales (18 430 GWh par an) se fera à travers un alignement de pylônes de plus de 70 mètres de haut, qui s'étendra sur 2 300 kilomètres en direction du Nord du pays (sachant que le taux de pertes d'énergie avec ce type de transport est de 30%).
Autant dire un coup mortel pour la région d'Aysén, qu'on appelait depuis 26 ans, la « réserve de vie », étant donné les efforts poursuivis pour y défendre un style de vie tourné vers le « vivre ensemble » et le respect de la biodiversité.
Les lignes haute-tension traverseront :
- six parcs nationaux, dont celui de la Lagune San Rafaël, classé réserve de biosphère par l'Unesco ;
- onze réserves, dont celle de Pumalín ;
- 32 propriétés qui protègent la nature.
Tant de touristes amoureux de la nature sauvage viennent la savourer et des écrivains comme Francisco Coloane, Luis Sepúlveda, Jules Verne, Bruce Chatwin, entre autres, l'ont aimée et racontée.
Ce que les manifestants refusent, c'est que la Patagonie soit sacrifiée par des personnes qui font de sombres calculs dans leurs bureaux de Santiago et de Rome sans tenir compte du devenir de toute une région et de ses habitants.
Les Patagons manifestent contre le fait que le futur de toute cette région se trouve entre les mains d'une multinationale étrangère et que le gouvernement chilien ne les protège pas, au contraire.
Car derrière HidroAysén se cachent deux des trois entreprises qui tiennent le monopole de l'électricité chilienne : Colbún (49% de HidroAysén) et Endesa-Chile (51%) contrôlé par le géant italien de l'énergie Enel (Endesa-Chile étant une filiale d'Endesa-Espagne, qui est contrôlé à 92% par Enel).
L'Italien Enel fait ce qu'il veut des rivières patagones
Les gouvernements de Sebastián Piñera – comme ceux de la Concertación l'ont d'ailleurs fait dans le passé -, ne tiennent pas compte de la volonté ni du devenir des Patagons, ni du message qu'ils transmettent au monde entier depuis 5 ans pour sauver la Patagonie, autour du slogan : « Patagonia sin Represas », la Patagonie sans barrages.
Pourquoi une entreprise italienne peut-elle décider du devenir de toute une région chilienne ? Au nom de quoi, Fulvio Conti, directeur d'Enel-Endesa, peut-il se permettre d'assurer sans sourciller que Hidro Aysén « doit continuer et continuera » ? parce qu'il considère que ce projet est « stratégique ».
Stratégique pour qui ? Il faut dire que le ton manifestement méprisant de Conti est dû au fait que la commission chilienne d'études sur l'environnement, constituée essentiellement de fonctionnaires publics (dont certains ont d'ailleurs démissionné dernièrement) a émis un avis favorable lundi dernier 9 mai 2011, ne tenant compte d'aucune incidence de la construction des barrages sur l'environnement. Ni d'ailleurs des 3 000 observations citoyennes des Patagons.
Et que l'étude d'impact sur l'environnement qui considérait ce projet comme « non conforme » le 26 avril à 13h30, est devenu « conforme » à 14h, comme par enchantement, après l'intervention de fonctionnaires du gouvernement très haut placés.
Endesa, donc Enel, possède 96% de l'eau de la région d'Aysén
Endesa, donc Enel, possède 96% de l'eau de toute la région grâce à une loi, inventée par Pinochet, qui a privatisé le droit d'exploitation de l'eau du Chili distribué cette propriété à ses amis, qui l'ont ensuite vendue à des entreprises, qui à leur tour l'ont vendu à des multinationales.
Une loi que personne (aucun des gouvernements démocratiques) n'a pensé ni ne pense aujourd'hui changer, parce que les intérêts en jeu sont trop énormes.
Les intérêts de qui ? Pas des Patagons en tout cas ! Ni des Chiliens ! Le Chili est sans doute l'un des rares pays au monde où l'eau peut appartenir à des multinationales étrangères. Patricio Rodrigo de l'association « Patagonia sin Represas », accuse :
« C'est un énorme business pour peu de personnes et la faillite pour la majorité des Patagons. »
Comme un air de magouilles
Que ce projet aboutisse semble être acquis pour l'Italien Enel, vu que bien avant que l'étude de l'impact sur l'environnement soit mystérieusement approuvée, les investissements avaient déjà commencé pour l'alignement des pylônes.
Sans oublier que la fondation de l'épouse du président, Cécilia Morel, vient de recevoir une donation d'un million d'euros de la part de HidroAysén.
Et que l'actuel ministre de l'énergie et des mines, Laurence Golborne, qui appuie de tout son poids le projet HidroAysén, avait été pressenti à la direction de HidroAysén avant de devenir ministre des mines de l'actuel gouvernement… En pleine crise d'HidroAysén, il vient de prendre des vacances, montrant au passage « l'énorme intérêt » qu'il porte à cette affaire.
Peut-on, après ça, parler encore du Chili comme d'un Etat qui respecte ses institutions et ses citoyens ?
Pourquoi se dresser contre un tel projet ?
Les arguments avancés par le gouvernement d'une situation d'urgence énergétique et de rationnement possible ne tiennent pas debout.
Le journaliste Tomás Mosciatti, de Radio BíoBío, l'a dénoncé sur CNN-Chile :
« Il s'agit de discours de communication, d'effets de bluff pour faire peur. »
Deux centrales thermiques viennent d'être approuvées la semaine dernière. Des études prouvent qu'on produit plus que ce dont on a besoin. Et qu'il existe un potentiel énorme de production d'énergie non conventionnelle au Chili. Que l'excès sera vendu aux Argentins. Et que pas un mégawatt ne servira aux Patagons.
On sait par ailleurs que les entreprises minières dans le Nord du pays, dont la plupart sont étrangères, ont besoin d'électricité. De beaucoup d'électricité. Deux-tiers de l'électricité produite au Chili est consommée par elles. Et que ce sont elles, surtout, qui ont poussé ce projet HidroAysén. Tomás Mosciatti accuse :
« Je ne crois pas ce gouvernement, ni ceux d'avant, qui ont autant appuyé HidroAysén que l'actuel président. Il n'existe aucune politique énergétique au Chili, ni de système tarifaire, ni de protection des consommateurs.
Rappelons qu'au Chili, le prix de l'énergie est l'un des plus élevés au monde et cela n'est possible que grâce au monopole (Hydo Aysén, Endesa et Colbún comptent contrôler 80% du marché de l'électricité chilienne).
Le système tarifaire est insensé : il consiste à aligner les prix sur le coût de production le plus élevé, ce qui revient à payer l'électricité produite avec de l'eau au prix de celle produite avec du pétrole. »
Il est intolérable qu'un secteur stratégique d'un pays, comme l'eau, soit entre les mains d'entreprises en majorité étrangères qui décident en fonction de leurs intérêts à court terme et contre sans penser aux intérêts nationaux.
C'est l'écrivain Luis Sepúlveda qui l'écrit dans sa lettre au président de la République chilien :
« HidroAysén, citoyen président, signifie la complète déforestation, l'annihilation, l'extermination de 23 000 hectares de forêts chiliennes. […]
Dans un futur proche, votre buste se trouvera dans une galerie avec tous ceux des ex-présidents chiliens. Il ne dépend que de vous qu'au moment où l'homme chargé de le nettoyer viendra faire le ménage, il se dise avec admiration : “J'enlève la poussière du buste d'un président qui a sauvé la Patagonie d'une mort annoncée”.
Ou bien qu'il passe devant votre buste en refusant de dépoussiérer l'image de celui qui aura détruit l'une des régions les plus belles et les plus pures de la planète. Tout dépend de vous, citoyen Président. »
Illustration : affiche « Patagonie sans barrages ». Photos : manifestation contre HidroAysén en Patagonie le 14 mai (Ivan Alvarado/Reuters) ; sur le Rio Baker ; glaciers de Patagonie ; tortel (Camille Fuzier).
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