Est disponible, depuis peu, un rapport sur la désindustrialisation en France par Lilas DEMMOU Chargée de Mission à la Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique du Ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi. Si ce texte n’est qu’un simple rapport de recherche, il nous éclaire néanmoins très bien sur l’état actuel de l’industrie en France et de son évolution ces dernières années et dans le futur.
Il est clair que des données chiffrées manquaient. On apprend donc que « l’industrie a perdu 36 % de ses effectifs entre 1980 et 2007, soit 1,9 million d’emplois ou encore 71 000 par an » principalement dans l’industrie manufacturière. Pour expliquer ce recul impressionnant trois hypothèses principales sont évoquées (en gras) :
- Recours croissant vers une externalisation (sur le territoire) des services qui représenteraient 25% des pertes d’emploi industriels entre 1980 et 2007. Ainsi en 1980 l’externalisation serait de 9% et de 25% en 2007. Elle concernerait toutes les branches industrielles. L’externalisation de la production serait plus limitée pour l’automobile et l’énergie, mais ces derniers externaliseraient beaucoup de services (avec les biens de consommation). Cette externalisation aurait connu un coup de frein ces dernières années.
- Les gains de productivité ont impliqué une baisse de la demande. Les gains de productivité font baisser les prix des produits industriels. Mais si cette baisse des prix n’est pas compensée par une hausse de la consommation équivalente, cela implique une destruction d’emplois. Il semblerait que ce déséquilibre ait été atteint en France en 1960. Ce phénomène est dû au fait que le ratio entre le revenu et la consommation en produits industriels n’est pas linéaire mais en U inversé. Pourtant le secteur industriel a plus de possibilité de gains de productivité que les autres mais la baisse importante des biens industriels qui en résulte n’est pas suffisante pour stimuler d’autant la croissance de la consommation de ces biens
Ces points conjugués indiqueraient qu’un transfert vers les services de 25% des emplois perdus aurait eu lieu. Ceci indique une perte d’emploi non pas de 36% mais de 28,42% dans le secteur industriel.
- La concurrence étrangère et l’ouverture des frontières commerciales contribueraient à une perte de 13% à 45% (suivant la méthode d’évaluation) 1980 et 2007. Perte qui s’est accélérée les 10 dernières années (perte de 20 à 63%) en particulier à cause de la concurrence entre pays développés.
- La plus forte croissance économique des années 1985 et 1995 n’a fait que ralentir la tendance sans l’inverser
- En contrepartie, les services commerce, transports, finances, immobilier, aux entreprises et aux particulier ont subit une augmentation de 53% de leur emploi
- Les secteurs les plus touchés sont les biens intermédiaires (41%), biens de consommation (29%) et d’équipement (18%), l’automobile (7%), l’énergie (4%), l’agro-alimentaire (0,3%). Pourtant c’est la branche biens de consommations (52% en 25 ans) et automobile (40%) qui ont perdu le plus d’emplois.
Une partie de ces pertes d’emplois ont été transférées vers les services. L’évolution de la part de l’industrie dans l’emploi dépend du différentiel de gains de productivité entre l’industrie et les services.
Si les gains de productivité permettent des prix plus bas et donc une consommation accrue ainsi qu’un transfert plus important vers les services, cela n’est toute fois pas suffisant et finalement implique la destruction de 29% d’emplois industriels. Pour vulgariser l’information, la proportion des biens industriels dans l’usage que l’on fait de notre revenu diminue à partir d’un certain niveau de revenu. Pourtant, ce phénomène n’est pas irréversible, comme l’indique cette étude : « il dépend de la qualité des biens et de leur innovation technologique » comme le soulignait déjà mon article sur les ingénieurs.
L’ouverture des frontières commerciales est passée de 11,5% à 18%. Dans le même temps le solde extérieur industriel est passé de -15Md€ à -54Md€ soit –360% de dégradation ! Cette ouverture expliquerait jusqu’à 45% des destructions d’emplois (dont 17% relatifs aux pays émergeants).
- Pour réduire ce chiffre il faudrait que nous produisions et exportions des produits différents de ceux que nous importons. Les produits manufacturés perdent les plus d’emplois tandis que l’agro-alimentaire en bénéficierait
- La concurrence des pays à bas coûts explique moins de la moitié des pertes d’emploi dû à la concurrence internationale
- La majeure partie du recul de l’emploi industriel est due à la perte de compétitivité de la France
Conclusion de l’étude
Nous en déduisons que la destruction d’emplois industriels (non transférés vers les services) est croissante depuis l’an 2000 (de 1 à 5% depuis 2000). L’impact néfaste des gains de productivité s’est accéléré depuis l’an 2000 également (65% depuis 2000). La compétitivité de la France est en chute depuis 1990 (de 20% à 65% des emplois perdus depuis 2000). Nous indique que nous subissons de plus en plus la concurrence des pays développés et dans une moindre mesure celle des pays en développement.
Notons que la dégradation de la compétitivité de la France n'a pas encore complètement impacté l’emploi. De plus la situation est variable suivant le niveau de qualification des travailleurs. Un agrandissement de la fracture sociale et du chômage en prévision ?
Solutions possibles
L’article ne donne pas de solution et se contente de constats ce qui est regrettable. En revanche les conclusions sont suffisamment claires pour qu’on en déduise les contre-mesures (par ordre de priorité) :
- Augmenter la compétitivité de la France par la baisse du coût du travail, l’amélioration du niveau d’éducation et des infrastructures
- Spécialiser la production manufacturière Française de manière à en réduire la concurrence (comme savent si bien le faire les Allemands)
- Réduire l’ouverture extérieure Française surtout tant que les deux points précédents n’ont pas encore portés leur fruits.
Il est a noter qu’il est fondamental pour les entreprises modernes de « maîtriser tous les facteurs de la création de valeur-client » comme l’indique Jacques Léger, auteur de « l’Avenir de notre industrie ! ».
Dans un article (« Industrie, le retour des vieilles lunes ») parut dans « La tribune » de ce samedi, Erik Izraelewicz indique trois fausse solutions à la crise qui accélèrerait notre désindustrialisation :
- Une vision nostalgique de l’industrie avec comme exemple Apple qui crée au US mais fabrique en Chine. « L'industrie de demain, c'est un mélange de manufacture et de bureaux d'études, de matériel et d'immatériel. »
- L’État peut sauver l’industrie. Le FSI est cité en exemple d’une attente trop forte et irrationnelle de l’état. Il cite comme je l’indiquais dans un récent article les mauvais choix low-cost de Renault comparés aux bons choix haut de gamme des Allemands BMW et Mercedes. L’attitude soudée de ces derniers (entre industriels et entre industriels et syndicats) est soulignée.
- La préférence nationale est une solution. « Si politique industrielle il doit y avoir, elle ne peut plus être aujourd'hui qu'à un niveau régional - celui de l'Europe pour la France »
Cette sympathique vision libérale est bien belle mais ne résous rien. Les « vielles lunes » peuvent encore nous éclairer comme nous allons le voir !
Apple est un bel exemple mais un pays ne peut pas avoir que des services ou des bureaux d’étude, il faut donc tout de même s’occuper fortement de l’industrie qui souffre en ce moment. Attention à ne pas avoir une France sans usine, ce qui réussit si bien en ce moment à Alcatel-Lucent et Dell (sic).
L’État ne peut pas tout, certes, mais peut influer fortement sur la compétitivité de la France (voir les solutions possibles ci-dessus) et aider notre pays à se structurer en pôles de compétitivité. Durant ces vingt dernière années, il n’y a eu aucun accompagnement de l’État concernant la stratégie industrielle, nous en voyons aujourd’hui le résultat !
Quant à la préférence nationale, fortement combattue par les libéraux de tous poils, qui, entre parenthèse, avec leurs solutions toutes faites, nous ont conduits dans cette impasse, si elle n’est pas LA seule solution devrait être un point important de notre stratégie.
- En effet, nous avons vu l’impact de l’ouverture croissante de la France sur l’emploi dans cette étude. « Les très grandes entreprises du Cac 40, qui produisent au moins cher pour vendre sur tous les marchés, s’en accommodent. Mais en France, les PME, qui ne peuvent se redéployer à toute vitesse, disparaissent » indique Pierre Gattaz, président de Radiall et auteur d’un ouvrage intitulé « Le Printemps des magiciens ». Doit-on rappeler que les PME sont le plus grand employeur de France et que la restauration notre compétitivité passera par elles ?
- Pourquoi accepterions-nous des produits étrangers qui ne respectent pas le centième des règles et normes que nous nous imposons ?
- Quant à l’Europe, nous voyons hélas, qu’elle a été mal construite et qu’elle nous impose plus de contraintes que d’avantages !
Notez également qu’un pays comme la Chine ne se prive pas de protectionnisme déguisé malgré leur forte croissance. A moins que cette dernière ne soit en partie expliquée par cela…
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