Vous aimez ce blog? Dite-le en cliquant le bouton:

samedi 13 février 2010

Hexaconso : J’en ai rêvé, elle l’a fait !

51 - MadeInFrance

Lorsque j’ai écrit l’article sur les délocalisations en France, on m’a soumis un site intéressant www.hexaconso.fr dont le rôle est de présenter les entreprises qui ont encore une partie (ou la totalité) de leur fabrication en France. J’ai voulu en savoir plus, voici l’interview de sa créatrice, Marie Thuillier.

Eugène : Pouvez-vous présenter rapidement le site Hexaconso ?

Hexaconso : Hexaconso présente aux consommateurs les marques qui fabriquent vraiment leurs produits en France. Il permet aussi aux entreprises de faire connaître leurs marques et produits à des personnes à la recherche d'une consommation un petit peu plus responsable, et également de communiquer sur leurs engagements en matière d'emplois, d'environnement…

Modestement, Hexaconso espère pouvoir ainsi contribuer ne serait-ce qu'un tout petit peu à la nécessaire sauvegarde d'une industrie française en grand danger.

Eugène : Quand à été créé le site Hexaconso ?

Hexaconso : L'histoire d'Hexaconso remonte à déjà 3 ans, puisque les premiers germes en sont apparus début 2007. Mais après plusieurs versions graphiques, le site a vraiment démarré à l'automne 2009.

Eugène : Comment vous est venue l'idée de ce site ?

Hexaconso : Ingénieur de formation (les Mines de Nancy), complétée par un troisième cycle en gestion d'entreprises, j'ai toujours travaillé dans le conseil aux entreprises et aux collectivités territoriales. Tout d'abord au sein de structures consulaires (CCI), puis territoriales (locale et régionale), à chaque fois dans ce que l'on appelle le « Développement économique et industriel ». En 2002, j'ai créé ma société de conseil, toujours en développement économique et industriel, pour les collectivités territoriales et les institutionnels.

C'est ainsi que j'ai été amenée à rencontrer un certain nombre d'entreprises, souvent industrielles, ainsi que des territoires plus ou moins en souffrance économique, certains même totalement sinistrés suite à quelques naufrages industriels aux conséquences dramatiques pour l'emploi local. Nous dirons donc que mes études puis ma vie professionnelle étaient assez orientées vers l'industrie.

Mais revenons à Hexaconso, et à sa genèse. Entre des territoires ravagés par la disparition quelque fois totale de leur industrie, des filières industrielles entières (par exemple la lunette dans le Jura) dont les effectifs et les savoir-faire disparaissaient à vue d'œil en raison de la généralisation du recours à la sous-traitance asiatique, et des entreprises tenaillées par la nécessité d'être toujours plus compétitives, le bilan industriel et territorial qui se dessinait commençait sérieusement à virer au drame.

Plus personnellement, à commencer à naître l'horrible sensation de me faire avoir, financièrement et philosophiquement, en achetant, à des prix loin d'être négligeables, des articles : (rayer la mention inutile)

- De qualité plus que médiocre. Du vécu : repasser un tee-shirt informe, aux coutures qui « tournent » et au col qui baille après deux lavages est un calvaire, et essayer de faire des travaux dans sa maison avec du matériel « pas cher », c'est courir le risque  de voir le moteur griller au bout de 2 ou 3 heures maximum de fonctionnement…

- De marque mondialement connue, mais dont la fabrication est plus que douteuse (fabriqués par des enfants ou des quasi-esclaves)

- Dont la fabrication est, écologiquement parlant, aberrante (les 7000 litres d'eau pour faire un jean pré-troué, ou les 9000 km parcourus par un bête yaourt à la fraise)

Vous combinez ces deux approches (personnelle et professionnelle), et vous aboutissez à la conclusion qu'il y a un truc qui ne tourne plus rond, que nous marchons tous collectivement sur la tête. Et que vous n'avez, en tant que citoyen et/ou consommateur, aucun accès à une information indépendante, fiable et centralisée sur qui fabrique quoi, comment et où. Et comme depuis 1986 les entreprises n'ont plus d'obligation concernant la mention de l'origine de production de leurs produits, on ne peut même plus se fier à l'étiquetage. D'ailleurs, à ce sujet, l'usage, mais ce n'est qu'un usage, permet d'inscrire « Made in France » sur une étiquette dès que 45 % de la valeur ajoutée est produite en France. Ce qui ne veut absolument rien dire sur la fabrication réelle du produit. Il suffit de faire fabriquer pas cher un produit « brut » et de l'assembler, le « décorer », ou de le peindre pour pouvoir l'orner d'une jolie étiquette « Made in France ».

Puis vous vous dites que zut (pour rester polie), il reste quand même un paquet d'entreprises françaises, qui privilégient la qualité (en général), et qui n'ont encore pas tout délocalisé ou sous-traité dans les fameux pays à bas coûts de main d'œuvre. Et là, rien, rien sur le net, rien dans les médias, aucune information.

L'idée de rassembler en un endroit unique l'information sur les marques qui fabriquent leurs produits en France était née. J'ai bien dit l'idée…

Parce que l'accueil des personnes avec qui j'ai évoqué le sujet à l'époque a été au mieux froid, au pire j'ai eu droit au classique : « Quoi ! Mais c'est une idée franchouiallarde, tendance Le Peniste ton truc ! » J'ai laissé dire et ai donc remisé cette idée au fond de mon petit cerveau jusqu'à ce qu'elle ressorte fin 2008. Hasard ou coïncidence : la fameuse crise mondiale éclate. Me disant que c'était maintenant ou jamais, j'ai donc commencé à conceptualiser ce qui était encore mal défini, puis je me suis lancée.

Plus personne aujourd'hui ne me parle de démarche franchouillarde. Bien au contraire… Comme quoi, les mentalités sont peut-être en train d'évoluer…

Eugène : Quel sont les objectifs du site ?

Hexaconso : A l'origine de ce site était l'idée de centraliser en un seul et même endroit les marques dont les produits étaient fabriqués en France. Hexaconso s'adresse ainsi aux consommateurs, et concerne leurs achats de la vie courante : vêtements, cosmétiques, décoration, arts de la table, articles pour les sports et les loisirs, outillage… Et également un peu de gastronomie, même si je ne souhaite pas recenser tous les petits producteurs, d'autres sites spécialisés le faisant déjà très bien. En revanche, les marques agroalimentaires à dimension un peu industrielles, mais avec un aspect « produit régional » ont tout leur place sur le site. Plus tout à fait artisanales, mais pas non plus impersonnelles ou détachées des traditions régionales, ces marques ont en général une histoire et des savoir-faire intéressants.

L'objectif majeur est donc d'informer le consommateur, de lui présenter des marques sous l'angle « produits », mais également en racontant un peu de leur histoire, et en leur présentant leurs savoir-faire. Pour aller plus loin justement que les produits, et faire découvrir ce qu'il y a « en coulisse », derrière, dans l'atelier ou l'usine.

Dans le même esprit d'information du consommateur, j'ai d'ailleurs créé une Blacklist, dans laquelle je recense à l'occasion les entreprises qui ont fini par délocaliser entièrement leur production, mais continuent d'entretenir leur image « française » en jouant sur les mots, notamment en rajoutant le mot « France » dans leur logo, ou en parlant de leur « fabrication dans le respect de la tradition française » sur leur site internet… Comment ne pas avoir envie de les épingler, lorsque leur fameuse tradition française s'exprime en mandarin et que leurs produits ont parcourus des milliers de kilomètres sur des cargos poubelles. Il arrive régulièrement que des visiteurs d'Hexaconso m'écrivent en me signalant une marque bien française que je devrais, selon eux, faire figurer sur le site. Deux fois sur trois, ces personnes sont bien déçues de ma réponse : l'entreprise dont ils me parlent fabriquait bien en France, mais c'était avant…

Symétriquement, le deuxième objectif est de fournir un espace d'expression aux entreprises qui fabriquent vraiment en France, afin qu'elles partagent avec les consommateurs un peu de leur histoire et de leurs engagements, qui sont souvent importants, tant sur le plan environnemental ou écologique, que sur le plan social ou citoyen.

Ces deux objectifs sont ceux que j'avais imaginés à l'origine. Aujourd'hui que l'actualité et les médias se font l'écho de façon beaucoup plus importante des thèmes liés à l'industrie, les délocalisations, le « Made in France » ou encore le protectionnisme, j'envisage d'apporter un peu plus de « contenu » au site. Je réfléchis à la création d'une page où je pourrais présenter ma vision de l'économie et de l'industrie en France. Peut-être un peu ambitieux, peut-être un peu dangereux, mais il y a tellement de choses que je lis et que j'entends qui me hérissent le poil, que j'ai fortement envie de m'exprimer sur l'importance de garder une industrie de production dans notre pays, sur le protectionnisme (quasi gros mot jusqu'il y a peu)…

Eugène : Comment sont répertoriés les entreprises sur le site ? Il faut que les entrepreneurs s'inscrivent ou vous faites vous-même vos propres ajouts ?

Hexaconso : Au départ, j'ai bien sûr commencé avec les entreprises que j'avais pu connaître dans ma vie professionnelle. La liste s'est ensuite élargie avec les entreprises que je « repère » en lisant la presse économique, industrielle, locale ou régionale, en parcourant le net de long en large. Mon entourage et mes contacts professionnels ont également pris l'habitude de me communiquer les noms d'entreprises potentiellement compatibles avec ma démarche. Il s'agit ensuite de valider ou non leur adéquation avec la ligne d'Hexaconso, de les contacter…
Aujourd'hui, je suis également régulièrement contactée, via le site, par les entreprises elles-mêmes, qui souhaitent être référencées. Hexaconso faisant doucement son chemin dans l'univers impitoyable du web, le nombre de ces contacts directs augmentent petit à petit (en moyenne, quasiment 1 par jour ces derniers temps).

Eugène : Comment est financé le site ?

Hexaconso : Voici LE point crucial de tout site internet : comment le financer ? J'ai bien sûr envisagé de le faire par de la publicité. Mais ce principe me pose quelques problèmes. Déontologiquement, je ne souhaite pas par exemple diffuser de la publicité pour de grandes boutiques dont la plupart des produits vendus sont fabriqués « ailleurs ».
Parallèlement, Hexaconso offre un service aux entreprises, en leur proposant un espace de communication au sein duquel elles peuvent s'exprimer. Elles peuvent ainsi se situer à la fois dans une démarche commerciale en présentant leurs produits, et également dans une démarche de communication liée à leur image et à leurs valeurs en mettant en avant leurs engagements d'entreprises citoyennes et/ou impliquées dans la protection de l'environnement par exemple.
Il ne me semble donc pas anormal qu'Hexaconso puisse tirer ses ressources des espaces vendus à ces entreprises. Voilà pourquoi le schéma financier s'appuie sur un « abonnement » acheté par les entreprises souhaitant être référencées sur le site. Les tarifs proposés aux entreprises sont donc modérés, afin que toutes puissent, si elles le veulent, y avoir accès, et qu'ils ne soient pas discriminants, même pour les plus petites d'entre elles. L'abonnement annuel est ainsi actuellement proposé à 100 € HT. L'évolution de la structure d'Hexaconso me conduira peut-être à réévaluer ce tarif, mais je ne souhaite pas aller au-delà de 200 € HT/an. Encore une fois, l'objectif est de permettre au plus grand nombre d'entreprises d'être en mesure de figurer sur Hexaconso lorsqu'elles remplissent les conditions nécessaires.
A ce jour, l'accueil des entreprises est d'ailleurs plutôt très favorable.

Eugène : Quelles sont les difficultés de cette approche ?

Hexaconso : Le point le plus délicat est le temps que demande le contact avec les entreprises. C'est d'ailleurs pour cela que j'envisage de renforcer l'équipe. L'autre point important concerne la visibilité d'Hexaconso sur internet. Le référencement, le trafic, le « buzz »… sont des éléments cruciaux dans la vie d'un site. Cet aspect d'Hexaconso est actuellement confié à un spécialiste. Je souhaite ainsi pouvoir consacrer plus de temps à l'expression et à la diffusion de mon engagement pour la promotion de l'industrie française.
Ce qui est sûr, c'est que la fréquentation du site est en très nette augmentation, et qu'une interview telle que celle-ci est une véritable chance pour Hexaconso. Je vous en remercie d'ailleurs vivement !

Eugène : Quels sont les principes du site et quels sont les critères pour apparaître sur votre site ?

Hexaconso : Le principe de base est qu'Hexaconso ne délivre aucun label, et que la présentation des marques reste sous leur responsabilité. Je ne demande qu'une chose : transparence et honnêteté.

La charte Hexaconso est la suivante : que l'entreprise fabrique la totalité ou une partie identifiable ou identifiée de ses produits en France. Identifiable signifie une partie de la gamme de ses produits. Identifiée signifie une partie de la fabrication même de ses produits.

Je me réserve le droit de refuser une marque qui ne souhaiterait pas mentionner tel ou tel aspect de ses pratiques. Un exemple : une entreprise me contacte via Hexaconso pour savoir comment être référencée. Elle se présente comme étant la seule entreprise de fabrication française dans sa partie. Je vérifie ses dires, et me rends compte qu'elle est effectivement la seule en France à vraiment fabriquer ses produits, mais, car il y a un mais, je vois aussi qu'elle travaille en partenariat avec une entreprise qui fabrique ses produits en Chine. Je lui demande donc la part de ses produits qui intègre ces composants chinois. Pas moyen d'obtenir de réponse, donc pas de référencement sur Hexaconso. J'aurais accepté de la présenter si elle m'avait dit que 20 ou 40 % de ses produits intégraient des composants asiatiques. Mais visiblement, cela lui pose un problème…

Et lorsque je ne trouve pas de renseignement sur l'entreprise en fouinant sur internet, en lisant la presse économique ou industrielle, ou directement auprès de l'entreprise, mon métier de consultante me permet d'avoir accès aux informations via les agences de développement économique locales, départementales ou régionales. Elles connaissent quasiment toutes les entreprises de leur territoire, ou elles connaissent au moins quelqu'un qui les connaît…

Petit point pratique : ayant l'habitude de pratiquer les entreprises, je rédige moi-même leur page de présentation, en respectant bien entendu les éléments qu'elles souhaitent mettre en avant, et ceux qui leur semblent moins importants.
Cette façon de faire permet notamment :

-    De gagner du temps, car je sais que si je leur demande de rédiger elles-mêmes leur texte, de choisir les photos…, elles auront du mal à trouver le temps nécessaire pour s'y consacrer. Gérer une PME implique généralement un emploi du temps plus que serré et rempli. Je leur demande donc simplement de me communiquer les éléments clés de leur entreprise, et j'essaie de restituer le plus fidèlement possible leur démarche, leur histoire, leurs particularités…
-    De maîtriser la ligne éditoriale d'Hexaconso ainsi que la présentation des entreprises, sachant que Leur page ne sera de toute façon pas mise en ligne tant que l'entreprise ne l'aura pas validée. Mais je dois avouer que je n'ai pas, à ce jour, rencontré de difficulté sur ce point.

Eugène : Comment son gérés les cas ou une partie de la production est en France ? Deux cas principaux se présentent : une partie des produits vendus sont fabriqués en France, deuxième cas, une partie de la fabrication de chaque produit est réalisée en France ?

Les entreprises fabriquant 100% de leurs produits en France sont aujourd'hui bien rares. Je demande donc que les éventuelles parties non fabriquées en France soient identifiables ou identifiées. Par exemple, une entreprise qui fabrique des chaussures en réalisant une partie (70 %) de la coupe et de la piqure en Tunisie (soit au total moins de 25 % de la fabrication de la chaussure entière), a tout à fait sa place sur Hexaconso, surtout que la délocalisation progressive de cette partie de la fabrication n'a jamais donné lieu à licenciement, et que l'effectif de l'entreprise a même progressé (l'effectif de production ayant progressé également).

Autre cas, celui où une partie de la gamme de produits est fabriquée en France. Si les produits français sont identifiables (telle gamme, telle famille de produits…), j'accepte de référencer l'entreprise.

Eugène : Que se passe-t-il si la situation de l'entreprise change ? Rachat, délocalisation, etc...

Hexaconso : Je n'ai encore pas eu à traiter le cas où la situation de l'entreprise change. Mais si l'une d'entre elles venait à délocaliser, j'essaierais d'en profiter pour interroger le patron, pour comprendre et savoir exactement qu'elles sont les raisons qui le pousse à prendre une pareille décision. Une délocalisation en direct ! Bon, cela supposerait que l'entreprise coopère… Mais si l'entreprise ne remplit plus les critères d'Hexaconso, je la retire du site.

Eugène : Combien de personnes participent a cette aventure ?

Hexaconso : Conformément à mes bonnes habitudes, j'ai voulu tout faire toute seule au début. Et je l'ai fait, un peu aidée d’abord pour apprendre à créer une page internet, mais c'est tout. Dans mon empressement, je n'imaginais pas le travail que représente la création d'un site internet, mais voilà, le site était opérationnel à l'été 2009. A l'automne, je me suis dit que le design était perfectible, et j'ai tout refait, pour aboutir à la version d'aujourd'hui qui n'est peut-être pas encore parfaite, mais qui me convient mieux.

Je sous-traite quand même actuellement la partie référencement et développement du trafic à un spécialiste. On ne peut pas tout maîtriser… Et j'envisage maintenant de muscler la partie concernant les démarches avec les entreprises (prise de contact, validation de leur production en France, démarche commerciale). Être épaulée me permettrait ainsi de consacrer plus de temps aux messages que je souhaite véhiculer par le biais de ce site. J'y réfléchis.

Eugène : Comment envisagez-vous l'avenir du site ?

Hexaconso : La liste des marques qui pourraient potentiellement figurer sur Hexaconso est encore longue. Et c'est d'ailleurs là une certaine « surprise » : il reste beaucoup d'entreprises qui fabriquent encore leurs produits en France. Et dans tous les domaines. Je vais de découvert en découverte.

Et comme ces entreprises sont souvent des PME ou PMI, elles n'ont pas la force de frappe commerciale et marketing qu'ont les grands groupes. Elles ne sont donc pas facilement identifiables, et peu connues (à quelques exceptions près).

Le premier développement d'Hexaconso est donc de recenser le plus grand nombre de marques, et de proposer ainsi aux consommateurs une palette la plus large possible d'alternatives à la consommation de masse.

Comme je l'ai écrit précédemment, je souhaiterais également apporter un peu plus de contenu à Hexaconso, en approfondissant les aspects économiques et industriels en France, la désindustrialisation, les délocalisations… Pouvoir présenter certains secteurs d'activités, par exemple le secteur du textile, ou de la chaussure, afin de mieux faire prendre conscience aux consommateurs de l'évolution de ces secteurs dans notre économie, de la destruction d'emplois et de savoir-faire…

Eugène : Ne pourrait-on pas imaginer une diversification du concept ? Par exemple s'occuper d'autres pays que la France (internationaliser le site), proposer au visiteurs d'investir dans les entreprises concernées ou permettre tout simplement un achat des produits directement sur votre site (pratique pour les petites PME) ?

Hexaconso : Le développement d'une boutique qui vendrait des produits fabriqués en France n'est pas à l'ordre du jour. Plusieurs sites le font, mais leurs modèles ne me séduisent pas, peut-être est-ce parce que le « concept » est assez nouveau. Mais entre les produits présentés qui ne sont absolument pas fabriqués en France, les produits vendus sans préciser la marque ou l'entreprise qui est censée les fabriquer…, je me dis que le concept n'est peut-être pas encore mûr.

Vous me parlez d'étendre le concept d'Hexaconso à d'autres pays. Oui, je pense qu'il serait judicieux d'étendre le concept au moins à nos voisins directs, ou à l'Europe des 6, des 12 ou des 15. Je ne saurais pas donner à ce jour les contours exacts de ce qui pourrait être une sorte de marché européen homogène en termes de niveau de vie et de niveau de consommation. Mais on passe là à une toute autre dimension, et à la nécessité de lever des capitaux ou de trouver des partenaires à Hexaconso.

Enfin, l'idée de proposer aux particuliers d'investir dans les entreprises est excellente, mais excessivement compliquée à mettre en œuvre, car comme vous vous en doutez, tout ceci est très réglementé, et fiscalement parlant compliqué. L'idéal serait de trouver un partenariat avec un fond d'investissement sensible à la fabrication française et aux PME et PMI. Je vais me mettre sur le sujet…

Eugène : Avez-vous un point ou une information a ajouter par rapport au questions ci-dessus ?

Hexaconso : Le « Made in France » est à l'honneur depuis quelques mois. Je pense que la fameuse crise qui nous agite depuis 2008 n'y est pas pour rien. La médiatisation de quelques uns des plans de licenciements, l'explosion de l'écologie et de la prise en compte de la fragilité de notre planète, tous ces phénomènes se sont combinés pour mettre en exergue le schéma mondial absurde dans lequel nous nous débattons.

Notre système n'a pour effet que d'appauvrir les pays dits « riches », en les dépouillant de leur industrie, notamment. Mais il n'enrichit qu'une toute petite partie des pays dits « émergents ». Le sort des travailleurs chinois, employés dans ces usines au gigantisme hallucinant, ne me semble guère enviable. En revanche, quelques uns deviennent millionnaires (ou plus) en quelques mois, dans le sillage d'un pouvoir que l'on ne peut pas vraiment qualifier de démocratique.

Et croyez vous que ces mêmes chinois vont se contenter longtemps de fabriquer des jouets et des tee-shirts à deux balles ? La Chine forme déjà plusieurs dizaines de milliers d'ingénieurs chaque année. Combien de temps leur faudra-t-il pour maîtriser eux-mêmes les technologies les plus innovantes, surtout lorsque les grandes entreprises françaises, prêtes à n'importe quoi pour leur vendre un avion ou que sais-je d'autre, leur transfèrent directement les technologies nécessaires à la fabrication de nos soi-disant joyaux nationaux.

Sans compter que quelques entreprises feraient, à mon avis, bien de se poser la question de la rentabilité de la délocalisation. On peut en effet s'interroger. Certes le nombre d'entreprises qui ont fait marche arrière, c'est-à-dire qui ont rapatrié en France une production qu'elles avaient auparavant délocalisée dans un pays à bas coût, est assez faible. Mais toutes ont fait l'effort de calculer précisément les coûts réels de leur délocalisation. Et toutes ont le même discours. Les coûts intervenant dans la fabrication d'un produit vont en effet bien au-delà de la main d'œuvre. Il faut également prendre en compte de nombreux autres postes de dépenses : transport, taxes douanières, intermédiaires, encadrement et contrôle sur place, problèmes de qualité, délais de livraison et de réactivité, corruption (certains pays dits « low cost » sont rongés par la corruption – j'ai bien dit certains, pas tous), hausse des salaires sur place (exemple : Roumanie)… La liste est longue, et les surprises souvent au rendez-vous. Un exemple : Gantois, entreprise vosgienne qui fabrique des produits métallique pour l'automobile et l'industrie. La production qui avait été délocalisée en Roumanie a été rapatriée à Saint-Dié. Le calcul des coûts de la délocalisation a été très révélateur : à la base, la main d'œuvre en France revenait à 30 €/heure. En Roumanie, si les salaires sont à 6 €/heure, l'imputation des autres frais engendrés par la délocalisation a permis de calculer que ces salaires revenaient au total à… 36 € de l'heure. Voilà comment, à partir d'une apparente bonne opération, le résultat s'est avéré désastreux. Sans compter l'image de l'entreprise qui en avait pris un coup auprès de ses clients en raison de la qualité médiocre des produits qui étaient fabriqués là-bas. Ou comment perdre de l'argent, et des clients !

Et une fois que tout cela est en marche, que pouvons-nous faire pour l'endiguer ? Boycotts, taxes aux frontières, protectionnisme ? En l'absence de solution miracle, j'ai souhaité apporter ma toute petite pierre à l'édifice, en agissant sur les leviers à ma portée :

- Aider les entreprises qui se battent pour maintenir une production en France à se faire connaître des consommateurs ;

- Aider les consommateurs à identifier les marques qui continuent à produire en France ;

- Tenter de faire prendre conscience aux consommateurs de l'importance de l'industrie dans notre économie.

Eugène : Pensez-vous que la France puisse se passer d’industrie et ne garder que la partie noble comme la recherche et développement ?

Hexaconso : Même si la part des services dans l’économie s’accroît, une industrie solide est nécessaire à un équilibre vertueux de la balance commerciale et à la croissance. En effet, la demande en biens industriels des pays développés reste importante, car elle assure l’essentiel de leur qualité de vie. Si ces biens ne sont pas produits, ils doivent être achetés à l’étranger. Quels services exportables peuvent être la contrepartie de l’achat des biens industriels à l’étranger ? Selon un scénario envisagé par certains auteurs, la France pourrait devenir essentiellement agricole et touristique et acheter ses biens à d’autres pays spécialisés dans la production industrielle. Cette évolution de la spécialisation vers des secteurs à faible valeur ajoutée appauvrirait la France et fragiliserait sa position dans le commerce international. De manière plus générale, l’industrie demeure un des principaux moteurs de l’activité économique en termes de valeur ajoutée et d’emploi. Les territoires qui se développent le plus et qui créent le plus d'emplois sont les territoires où l'industrie est la plus performante. Le marché de l'emploi reste donc tiré de manière importante par les résultats de l'industrie. Et l’industrie possède également un pouvoir très fortement structurant sur la diffusion des innovations technologiques à l’ensemble de l’économie et, par extension, sur sa productivité globale.

En résumé, l'industrie est totalement indispensable à notre économie. Et le fantasme de certains d'une France sans usine, avec juste les fonctions les plus nobles telles que la conception, le marketing… n'a aucun sens. Pourquoi garder ces fonctions là où plus rien ne sera produit, et pourquoi les ingénieurs chinois ne seraient-ils pas capables de concevoir les produits qu'ils fabriqueront ensuite ?

Quand on entend parler d'industrie, on a l'impression que la France industrielle se résume à deux secteurs d'activités : l'automobile et l'aéronautique. Or l'automobile perd des emplois à la vitesse de l'éclair. Selon les experts chargés de travailler pour la commission réunie par C. Estrosi pour le soutien aux sous-traitants, 40 à 50.000 emplois chez les équipementiers automobiles français sont encore en « trop », après en avoir déjà perdu 55.000 depuis 2005. L'automobile est peut-être un secteur d'avenir, mais pas pour les emplois visiblement.

Eugène : Marie Thuillier, merci pour cette très intéressante aventure, je crois que tous les Français qui souffrent de la crise peuvent vous remercier et vous soutenir !

Hexaconso : Merci beaucoup de m’avoir contactée, c’est avec plaisir que j’y ai répondu.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire