Vous aimez ce blog? Dite-le en cliquant le bouton:

vendredi 19 février 2010

La dictature commence-t-elle par le numérique ? (mise à jour)

Alors que le monde entier reconnait l’inefficacité des mesures techniques pour lutter contre la grosse délinquance et le terrorisme, le gouvernement se lance, lui, dans une politique du « tout répressif » qui ne laisse aucun doute sur son manque d’efficacité mais laisse en revanche beaucoup de doutes sur les motivations cachées de cette loi votée ce mardi 16 février à l’Assemblée Nationale. Comme le texte est ennuyeux et long au possible (123 pages), peu de gens ont fait l’effort de le lire, mais le blog économique et social s’est dévoué.

  • Le développement de la vidéosurveillance (qui étrangement s’appelle maintenant vidéoprotection dans le texte de loi) pour prévenir des risques terroristes, site vitaux et intérêt fondamentaux de la nation. C’est suffisamment vague pour permettre d’en mettre partout. Si l’état pourra financer 50% des frais d’installation, les coûts d’exploitation sont à la charge des communes. Notons également que des agents privés conventionnés peuvent également dépouiller ces enregistrement. Une commission nationale de la vidéoprotection gèrera ce système. Efficacité ? Très controversée comme le montre de nombreuses études. Effets indésirables ? Favoriser des entreprises privées d’installation et d’exploitation de ces réseaux. Limitation ? On ne peut pas tout surveiller et cela déplacera la criminalité vers des lieux sans caméra. Sans parler du coût global que cela représente et de l’ajout d’une nouvelle commission (comme si nous n’en avions pas assez).
  • Un nouveau délit d’usurpation d’identité[1] est créé. Efficacité ? Faible, la plupart des problèmes étant liés à des voleurs étrangers. Effets indésirables ? La loi est trop floue et pénalise un simple usage de l’identité d’un tiers ou de « données de toute nature permettant de l’identifier » en vue de « troubler sa tranquillité ». Ainsi l’usage d’une vidéo, d’une photo, une caricature mais aussi d’un nom ou même d’un surnom ou d’un pseudo semblent entrer dans le cadre de cette loi. Ainsi critiquer un homme connu, un politicien ou le chef de l’état troublerait sans aucun doute sa tranquillité et tomberai sous le coup de la loi. Limitation ? Aucune, la formulation est si vague que cette loi peut servir à de nombreuses choses comme empêcher les humoristes, journalistes, et même les blogueurs de s’exprimer. On ne peut s’empêcher de penser aux affaires des banderoles « casse-toi pauvre con », aux hommes politiques filmés à leurs insu et qui déclarent que quand il y a un auvergnats ça va, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes.
  • Des mouchards informatiques[2] pourront être discrètement installés sur les ordinateurs de suspect (qu’est-ce qu’un suspect ?) afin d’intercepter la frappe au clavier, les emails, chat, sites consultés et fichiers téléchargés. Efficacité ? Nulle pour les grandes organisations criminelles et terroristes, nous avons tous vu que malgré la puissance technologique des Etats-Unis, le 11 septembre n’a pas été évité. Effets indésirables ? Surveiller les opposants, journalistes, syndicalistes, militants, etc.… Avec ce genre de possibilité, c’est l’affaire d’espionnage de Greenpeace par EDF qui est légalisée (EDF étant une entreprise d’intérêt national possiblement déstabilisée par l’association). Limitation ? Seul un juge d’instruction peut décider de l’usage d’un mouchard. Juge d’instruction dont la disparition est programmée… Qui décidera ensuite ? Quand à la nature des infractions justifiant un tel usage d’espion ils sont vastes[3] et modifiables discrètement.
  • Blocage obligatoire par les fournisseurs d’accès d’une liste sites pédopornographiques. Efficacité ? Cette mesure ne changera pas les habitudes des détraqués sexuels qui trouveront vite comment la contourner. De nombreuses études montrent son inefficacité[4]. Intérêt possible ? La liste de site est principalement limitée à la pédopornographie mais pourra aisément évoluer vers ce que le gouvernement veut. Filtrage de site politiques, syndicaux, d’opposants… Limitation ? Cela va couter cher aux fournisseurs d’accès (62 millions d’euros si l’on en croit l’expérience australienne) et va surement augmenter les prix des abonnements ou vos impôts. La liste est donnée par le ministère de l’intérieur donc à géométrie variable.
  • Les agents de Police municipale pourront obtenir le statut d’Officier de Police Judiciaire mais rendrons compte à la police ou la gendarmerie. Ceci permettrait d’effectuer arrestations, des perquisitions, de recueillir des indices et preuves, d’établir des procès verbaux et de notifier des décisions de justice. Efficacité ? Mauvaise à très mauvaise car obtenir un statut ne permet pas d’obtenir les formations nécessaires. Intérêts possibles ? Permettre l’élimination d’encore plus de fonctionnaires de police (comme cela a déjà commencé) au profit d’administrations territoriales. Limitations ? De nombreuses bavures sont en perspective et l’augmentation des impôts locaux paraît inévitable.
  • Le croisement de fichiers policiers est permis pour la lutte de la petite et moyenne délinquance. A noter que les victimes sont également fichées. Efficacité ? Médiocre quand on voit déjà l’obsolescence des fichiers existants. Intérêt possible ? Augmenter le pouvoir de la police et la pression sur les individus en stockant toute information (y compris obsolète) pour une durée indéterminée. Limitations ? Des fichiers faux et obsolètes, s’ils peuvent permettre des pressions sur les individus ne permettront pas normalement leur condamnation devant un tribunal.
  • Dans les cas de récidive de délits routiers (alcool, drogue, conduite sans permis), le véhicule sera confisqué. Efficacité ? Forte pour les gens pauvre mais complètement inefficace sur la grosse délinquance et les riches. Intérêts possibles ? A part la confiscation de véhicules de petits délinquants, l’autre intérêt est une source de revenu supplémentaire pour le gouvernement, avec une estimation de 20 000 confisqués par an, la somme récupérée peut être coquette. Limitation ? La grosse délinquance et les personnes riches ne seront que peu affectées.
  • Les préfets pourront décréter un couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans. De plus un contrat de responsabilité parentale sera signé avec les parents. But : Supprimer les avantages sociaux des parents qui ne sont pas suffisamment responsables de leur enfants
  • Encadrement des sociétés d’intelligence économique. Efficacité ? Non mesurable si l’on ne sait pas l’objectif de la mesure qui tombe comme un cheveu sur la soupe. A part garantir la souveraineté de la police.
  • Augmentation de 7 à 10 ans de prison de la peine encourue pour vols avec violence sur personnes vulnérables. Efficacité ? Nulle car 10 ans ne seront pas plus dissuasifs que 7 ans. Intérêts possibles ? Aucun, c’est une mesure opportuniste dictée par l’actualité[5]. Limitation ? Aucune, loi inutile.

Divers autre mesures en vrac !

  • Sont maintenant punis les personnes créant des sites de nature « à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger ».
  • Traitement en base de donnée des empreintes génétiques 
  • Autorisation des scanners corporels
  • Renforcement des peines sanctionnant la révélation des identités d’agents de renseignement
  • « Entraver le déroulement des débats d’une assemblée parlementaire ou d’un organe délibérant d’une collectivité territoriale » sera punis
  • La distribution d’argent sur la voie publique (ou toute publicité annonçant un tel évènement est sanctionné
  • La vente à la sauvette est sanctionnée
  • « Le montant au-delà duquel le paiement pour l’achat au détail des métaux ferreux et non ferreux ne peut être effectué en espèces » sera fixé par décret
  • « Le fait de troubler la tranquillité du voisinage par une occupation en réunion des espaces communs ou des parkings souterrains ou des  toits des immeubles collectifs d'habitation ayant pour effet de perturber l'accès ou la libre circulation des personnes est  puni de l’amende prévue pour les contraventions de cinquième classe. »

  • Le conducteurs en état d’ébriété pourront se voir imposer, à ses frais, l’installation d’un système d’anti-démarrage par éthylotest sur leur véhicule

  • Les échanges et vente de points du permis de conduire seront sanctionnés

  • Les établissements de nuit vendant de l’alcool devront disposer de systèmes de dépistage de l’imprégnation alcoolique

  • La mesure des vitesses moyennes par radar entre deux points de parcours est autorisée

  • Les actes de justice pourront être fait par téléconférence

  • Création de la réserve civile de la police nationale (retraités des corps actifs de la police nationale)

Qu’en déduire ?

Il est évident que ce texte va permettre de décharger la police au profit de la police municipale et de société de surveillance privée (vidéosurveillance). Un surcoût non négligeable sera transféré sur les impôts locaux et vers les abonnements internet. Internet sera mis au pas avec la possibilité de surveillance discrète de toutes les communications, le filtrage d’une liste extensible de sites et la protection de l’honneur et de la tranquillité des personnes (inconnues et surtout connues). Le croisement des fichiers policier rendra plus efficace les mesures ci-dessus. De plus quelques mesures clientélistes sont venues se greffer (violences aux personnes vulnérables, couvre-feu pour les mineurs, …)

En pratique les mesures ci-dessus sont définies de manière si floues que tous les abus seront permis et que cela ressemble au « patriot act » français du président. Un acte de guerre délibéré contre internet et ses nuisances supposées ou réelles, officielles ou officieuses. Malheureusement, comme le « Patriot Act » l’efficacité de ce texte est assez compromise.

Si vous êtes investisseur, je vous conseille vivement d’investir dans des sociétés de vidéosurveillance (oups, je voulais dire de vidéoprotection), de matériel de filtrage de l’internet, de data-centers, et de logiciels et matériels de surveillance, d’anti-démarrage par éthylotest, de radars, de téléconférence, de scanners corporels et de génétique. Leurs actions vont bientôt exploser en France !

Il est néanmoins bien triste de voir la France, historiquement défenseur des droits de l’homme, se lancer dans l’aventure de la censure du web, telle que n’importe quelle dictature que nous savons si bien critiquer par ailleurs.

La Dictature a déjà commencé avec le filtrage de sites politiques

L’assemblée Nationale a été la première a connaître les joies du filtrage du net et déjà c’est discutable. Bien sûr les sites pornographiques divers sont bloqués. En partie seulement car, comme le révèle Bakchich, il y a de gros trous. Plus problématique : certains sites politiques font partie du lot ainsi le site Semaine Anticoloniale 2010, franchement anti-Sarkozy, est également filtré pour raison de site malveillant. La censure politique est donc déjà là, j’en ai marre d’avoir toujours raison !


[1] « Art. 222-16-1. – Le fait de faire usage, de manière réitérée, sur un réseau de communications électroniques, de l’identité d’un tiers ou de données de toute nature permettant de l’identifier, en vue de troubler la tranquillité de cette personne ou d’autrui, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.

« Est puni de la même peine le fait de faire usage, sur un réseau de communications électroniques, de l’identité d’un tiers ou de données de toute nature permettant de l’identifier, en vue de porter atteinte à son honneur ou à sa considération. »

[2] « Art. 706-102-1. – Lorsque les nécessités de l’information concernant un crime ou un délit entrant dans le champ d’application de l’article 706-73 l’exigent, le juge d’instruction peut, après avis du procureur de la République, autoriser par ordonnance motivée les officiers et agents de police judiciaire commis sur commission rogatoire à mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, d’accéder, en tous lieux, à des données informatiques, de les enregistrer, les conserver et les transmettre, telles qu’elles s’affichent sur un écran pour l’utilisateur d’un système de traitement automatisé de données ou telles qu’il les y introduit par saisie de caractères. Ces opérations sont effectuées sous l’autorité et le contrôle du juge d’instruction.

« Art. 706-102-5. – En vue de mettre en place le dispositif technique mentionné à l’article 706-102-1, le juge d’instruction peut autoriser l’introduction dans un véhicule ou dans un lieu privé, y compris hors des heures prévues à l’article 59, à l’insu ou sans le consentement du propriétaire ou du possesseur du véhicule ou de l’occupant des lieux ou de toute personne titulaire d’un droit sur celui-ci. S’il s’agit d’un lieu d’habitation et que l’opération doit intervenir hors des heures prévues à l’article 59, cette autorisation est délivrée par le juge des libertés et de la détention saisi à cette fin par le juge d’instruction. Ces opérations, qui ne peuvent avoir d’autre fin que la mise en place du dispositif technique, sont effectuées sous l’autorité et le contrôle du juge d’instruction. Les dispositions du présent alinéa sont également applicables aux opérations ayant pour objet la désinstallation du dispositif technique ayant été mis en place. »

[3] Meurtre, torture, enlèvement, vol, destruction, délits d’armes et explosifs en bande organisée, trafic de stupéfiants, traite des humains, proxénétisme, fausse monnaie, terrorisme, aide d’étrangers en situation irrégulière, blanchiment et recels, association de malfaiteurs, délit de non-justification de ressources correspondant au train de vie.

[4] Les cabinets d'étude, Marpij et Insight, ont réalisés une étude d'impact sur le filtrage pour la Fédération française des télécoms, l’étude démontre que toutes les techniques de blocage, "sans exception aucune, sont contournables".

[5] Le 29 janvier un couple de septuagénaires ont été tués de 87 coups de couteau.

1 commentaire:

Bob Mords-les a dit…

Bonjour,

Je viens de parcourir votre site, pas de lecture exhaustive, mais de nombreux posts survolés. Merci pour vos articles. J'ai d'ailleurs commencé à diffuser celui sur "Hexaconso". Ce que je vais continuer à faire même si l'idée me... gratouille quelque part, j'ai du mal à définir encore précisément pourquoi. Je réfléchis. Sans doute la tension entre visée universaliste et le lourd passif de la notion de "préférence nationale"... A creusé, en somme. Reste que l'idée de relocaliser certaines productions est intéressante !

Quant à cet article ça fait froid dans le dos, brrrrrrrr.

Cordialement, Bob.

Enregistrer un commentaire