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3 janvier 2003. Ce jour-là, la petite cinquantaine d'ouvriers de Palace Parfum reprend le travail après les fêtes. En arrivant dans les locaux de leur entreprise de conditionnement, à Saint-Nicolas d'Aliermont, surprise : machines, stocks et même certains effets personnels ont été déménagés dans le plus grand secret. Les propriétaires Peggy Maaz et Nadim Khouri-Klink eux, sont en fuite.
Après une longue lutte, les salariés de l'entreprise de conditionnement étaient mercredi devant les Prud'hommes de Dieppe (Seine-Maritime) pour obtenir le paiement d'indemnités personnelles. Clap de fin pour Palace Parfum ?
Lorsqu'avait été annoncé le déménagement sauvage, le choc avait été immense. « On n'y croyait pas », se souvient Maryline Dumont, une ancienne employée. « Le patron nous avait souhaité de bonnes fêtes et donné rendez-vous à l'année prochaine. »
Les médias nationaux s'étaient emparés de l'affaire. François Fillon, ministre des Affaires sociales, avait évoqué pour la première fois « les patrons voyous ». Le dossier Palace Parfum avait pris une tournure politique.
De l'esclavage moderne
Commence également alors une longue bataille judiciaire. Au-delà du déménagement sauvage, les enquêteurs mettent au jour des pratiques contraires au droit du travail notamment en matière d'heures supplémentaires et de congés payés. « De l'esclavage moderne », lâche sans hésitation Marie-Pierre Ogel, l'avocate des salariés. C'est cet aspect du dossier qui arrive aujourd'hui devant les prud'hommes.
Pendant des années, l'entreprise a rémunéré des heures de travail au mépris de la législation. « Un mode de production supplémentaire totalement officieux » dit le conseil. Comprendre : au noir et sans payer la moindre cotisation sociale.
Les ouvrières, payées au Smic, essaient d'arrondir leurs fins de mois. Elles turbinent aux ateliers en plus de leur temps de travail réglementaire, payées en primes exceptionnelles : le Smic horaire, non majoré. Plus fort, après leur journée, certains salariés effectuent des travaux à domicile et ne sont rémunérés… qu'à la moitié du Smic, par l'intermédiaire de primes de conditionnement. Pour tous ces faits, chaque employé réclame entre 10 000 et 20 000 euros.
Ils ne devraient pas avoir trop de mal à les obtenir. Le 14 septembre dernier, la cour d'appel de Rouen est venue confirmer la méthode de calcul de l'avocate Marie-Pierre Ogel pour un premier groupe de salariés ayant vécu les mêmes mauvais traitements. « Ce devrait être la dernière audience. Après huit ans de procédures, mes clientes sont fatiguées », résume l'avocate.
Le liquidateur de l'entreprise -qui gère ses intérêts et organise sa disparition ne conteste pas les multiples entorses faites au code du travail. Tout l'enjeu de l'audience se focalise donc sur les méthodes de calcul des sommes dues. Le représentant de la défunte société s'étonne « des incohérences » dans les témoignages de certains salariés, « de confusions » entre primes exceptionnelles et primes de conditionnement.
« Depuis huit ans, chaque Noël, on y repense »
Dans la salle, les salariés grondent. Trop dur. « Depuis huit ans, chaque Noël, on y repense », raconte Sylvie Biot, cinq ans de boîte, visiblement émue. La plupart sont des femmes. A la suite du déménagement sauvage, beaucoup ont galéré pour retrouver un emploi. Certaines sont encore au chômage, d'autres vivotent avec des temps partiels ou de l'intérim.
Alors quand la juge vient à rappeler à leur avocate qu'elle a dépassé son temps de parole, les ouvrières sortent de leurs gonds. « Quinze minutes pour expliquer huit ans de notre vie… », éructe l'une d'entre elles. Entre l'avocate des salariés et la juge, l'ambiance devient électrique.
L'an dernier, les anciens patrons de Palace Parfum avaient été condamnés, en appel, à quinze mois de prison ferme. Les 70 ouvrier(e)s ont par ailleurs obtenu des avocats des deux patrons environ 14 000 euros de dommages et intérêts par personne. Ce mercredi matin, les ex-Palace Parfum demandaient réparation de leur préjudice individuel. « Cela devrait représenter plusieurs centaines de milliers d'euros », espérait l'avocate des salariés à la sortie de l'audience.
Les patrons voyous ne paieront pas la note
Si le délibéré du 30 décembre le confirme, c'est l'AGS (Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés) qui règlera la note. Dernier pied de nez des patrons voyous, ce n'est pas eux qui prendront en charge les arriérés de salaire. « Le liquidateur s'est cantonné à la société personne morale sans s'intéresser aux personnes physiques, c'est à dire les patrons », regrette Marie-Pierre Ogel. Résultat : en cas de nouvelle condamnation, les anciens propriétaires ne verseront pas un centime.
Un mandat d'arrêt international a été émis à leur encontre suite à leur condamnation pénale. Aujourd'hui, les deux « patrons voyous » courent toujours.
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