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mercredi 17 mars 2010

Nous sommes des moutons !

Et de plus en plus !

Certains d’entre vous on vu le film « I comme Icare » d’Henri Verneuil qui avait le mérite, dans un de ses passages célèbres, de vulgariser les résultats d’une expérience scientifique très intéressante menée entre 1960 et 1963 par le professeur de psychologie Stanley Milgram à l’université de Yale.

Le but avoué de l’expérience étant de mesurer l’efficacité d’une punition sur la capacité mémorisation. Pour de faire, Stanley passe une annonce dans les journaux de l’époque afin de trouver des participants à une expérience scientifique contre une indemnisation de $4,50. Les personnes choisies avaient de 20 à 50 ans, de tous niveaux d’éducation et de tous types de métiers.

Les personnes qui se présentaient suite à l’annonce se voyaient proposer une fausse expérience ayant pour principe apparent de mesurer la capacité de mémorisation d’un sujet en fonction d’une punition. L’illusion de l’expérience était entretenue par un tirage au sort déterminant, parmi les candidats, le professeur de l’élève. Mais le tirage était truqué et il n’y avait que des professeurs, l’élève étant systématiquement un acteur travaillant pour Stanley. Le sujet observé se voit donc confié automatiquement le rôle de professeur sensé faire apprendre une liste d’associations de mots type « ciel – bleu » à un acteur-élève qui, s’il se trompe, se voit infliger une punition par un voltage de plus en plus grand.

L’élève-acteur fait exprès de se tromper régulièrement et simule alors une douleur croissante (cris enregistrés) lorsqu’il se voit punis par un voltage de plus en plus grand. L’envoi progressif de décharge met les « professeurs » dans un état « agentique ». Chaque décharge confirme l’engagement de plus en plus fort du professeur. Un des usages des résultats de cette expérience étant de comprendre comment un peuple de gens normaux à pu obéir, sans se poser de question, à des ordres menant à la déportation de juifs dans des camps de la mort. Les résultats de l’époque étaient les suivants : L’obéissance à des ordres cruels et aberrants est facilitée par le morcellement des responsabilités (l’homme qui arrête les personnes, celui qui les conduit au train, celui qui ouvre les portes du camp, etc.…) et le respect de l’Autorité qui donne ces ordres.

Mercredi 17 mars 2010 à 20H35 sur France 2, une émission enregistrée a repris ce principe dans le but de faire un bilan entre les résultats de 1963 et ceux obtenus en 2009. Si des variantes ont été appliquées aux principes de l’expérience (cette fois il s’agit d’un jeu télévisé, « la zone extrême », avec un décor à la « Qui veut gagner des millions », une musique dynamique qui va avec et un véritable public), l’expérience est globalement identique et les résultats sont surprenants et inquiétants à la fois.

Une fois le principe des décharges électriques expliqué aux candidats, aucun participant ne refuse l’expérience. Pourtant, un peu plus loin dans le jeu 19% d’entre eux ont finalement abandonné le jeu. Près de 81% ont obéis aux règles presque aveuglement (30% n’ont même pas tenté de contester). Même si l’élève-acteur à 380 volts ne répond plus (pas de réponse égale mauvaise réponse), laissant penser qu’il est inconscient ou mort, 81% de ces candidats continuent d’envoyer jusqu’à 460 volts sous les incitations (qui sonnent parfois faux) de la présentatrice « Ne vous laissez pas impressionner, continuez ! », « le jeu exige que vous continuiez », « nous assumons toutes les conséquences » ou « qu’en pense le public ? ». Si le candidat persiste au bout de 5 injonctions, l’expérience s’arrête. Un des 9 candidats qui décident d’abandonner remarque avec justesse qu’il « ne doit rien au jeu ». Un autre, qui vient d’un pays communiste, indique que ces manettes électriques sont comme le communisme. La société démocratique que nous avons connue depuis notre naissance détruit-elle notre libre-arbitre ? Les candidats qui continuent extériorisent (et diminuent) leur stress par le rire (vers 80V), puis (pour 17% d’entre eux) en trichant (ce qui les déculpabilise), enfin, vers 320V la victime veut tout arrêter et les candidats vont nier la victime en parlant en même temps que ses cris. A l’époque de Stanley Milgram, ils étaient 62% à aller jusqu’ à aller jusqu’au bout, 19% de moins qu’aujourd’hui. Parmi les candidats, trois n'ont pas souhaité que leur passage figure dans le documentaire. Sur ces trois personnes, deux sont des « désobéissants ». Le plus rebelle d’entre eux a également refusé de se montrer : il a réussi à retourner en sa faveur le public de l'émission afin que cesse le tournage.

Les résultats de l’expérience changent si la présentatrice disparaît du plateau et laisse le candidat seul avec l’élève et le public : 75% des candidats abandonnent et le résultat est inversé. Mais que penser des 25% qui continuent ?

Evidemment nous pouvons discuter à loisir de la validité de cette expérience et de ses résultats, comme l’expérience originale a fortement été critiquée, la psychologie n’étant pas une science exacte. Il faut également dire que si les candidats étaient sensés ne rien gagner (40€) car le jeu était en phase de mise au point, néanmoins, durant le jeu, il est mentionné un gain d’un million d’Euros. Le candidat peut-il oublier les règles du départ et croire finalement au gain ? Comme le dit un des candidats, il est « au théâtre ». Ainsi l’expérience de France 2 suscitera donc encore plus de critiques que celle de Milgram. 15% des personnes qui jusqu’au bout ont déclaré à posteriori ne pas avoir cru à la réalité des décharges électriques (6% dans l’expérience de Milgram). Mais il faut se méfier des justifications d’après jeu, permettant aux candidats de justifier leurs actes.

Malgré ces réserves, les résultats ne paraissent pas tellement éloignés de la réalité que nous visons tous les jours. Si l’émission titre « jusqu’ou va ma télé ? » et centre le débat autour de la télévision et de la téléréalité, l’expérience originelle, elle, n’a aucun rapport avec cette dernière. Dans la nouvelle édition, il s’agit d’un jeu télévisé où l’autorité est remplacée par une présentatrice et le chauffeur de salle. Aussi, je me suis demandé en quoi ces résultats peuvent être compris et utilisés dans le cadre de la France actuelle et non pas seulement dans le cadre télévisuel.

Tandis que le gouvernement et de nombreux autres gouvernements dans le monde, semblent mettre en place des méthodes et outils de contrôle de l’opinion publique (Loppsi & Hadopi, dénonciation permanente des dérives de l’Internet pour justifier ces mesures, espionnage informatique légalisé, etc.…), les citoyens perdent de plus en plus leur esprit critique. Ceux qui en ont encore un peu ont peur et se cachent. Comment ne pas mettre en regard ces résultats et les nombreuses couleuvres que nous avons dues avaler successivement ces dernières années ? Les bonus des traders avant la crise et reconduits après[1], le salaire mirobolant de certains patrons de grandes entreprises[2], les parachutes dorés parfois milles fois plus importants pour ces patrons que pour l’ouvrier licencié, la retraite dorée de 13 millions d’euros de certains tandis que la majorité reste de l’expectative de la date réelle de leur départ en retraite et du montant miteux de cette dernière[3], la préparation par le gouvernement d’un projet de loi offrant des parachutes dorés aux hauts-fonctionnaires[4], la demie chasse aux paradis fiscaux[5], la gabegie des hommes politiques qui, même en pleine crise, augmentent leur revenus[6], les différents scandales dénoncés du bout des lèvres par la majorité des médias[7], la prise de contrôle des médias par le pouvoir, le maintient, sans modification, de situations aberrantes et scandaleuses[8], le déguisement de la dette publique par des astuces comptable[9], la dégradation de l’Europe, etc. Comment pouvons-nous accepter tout cela sans réagir ? Nous sommes menacés, exploités, ridiculisés et personne ne réagit. Oui, nous avons des problèmes, et comme nous ne réagissons pas, nous méritons peut-être ce qui nous arrive…


[1] Par exemple BNP-Paribas a provisionné un milliard d'euros pour les bonus de ses 4.000 traders. 500 millions seront versés en mars, soit une moyenne de 125.000 euros par personne, tandis que les 500 autres millions d'euros seront distribués sous forme d’actions. Ce qui n’empêche pas la ministre des finances de dire sur France Inter «La BNP est bon élève et j'espère que l'ensemble des banques françaises vont suivre le même exemple pour qu'il y ait un peu de rigueur. Les activités de la banque ont été bien meilleures que l'année d'avant, deux fois meilleures d'après ce que je comprends et ils distribuent moins de bonus».

[2] Par exemple, le double salaire (PDG d'EDF et président du conseil d'administration de Veolia Environnement) du nouveau patron d’EDF est une réalité : 2 millions d'euros par an (soit 139 fois le SMIC annuel) – 1,6 million de la part d'EDF et 450 000 euros de la part de Veolia –, et ce alors que la ministre de l'économie et des Finances avait affirmé en novembre qu'il ne percevrait qu'un seul salaire… En dix ans, Entre 1997 et 2007, les rémunérations des patrons des grands groupes français ont augmenté chaque année de 15% en moyenne, contre 2% à peine pour l'ensemble des salariés.

[3] Dans un article du Parisien il est indiqué que le nouveau patron d'EDF conservera la retraite supplémentaire, pour laquelle Veolia a provisionné 13,1 millions d'euros en 2008. Le chiffre de 13,1 millions d'euros pour ce dernier figure dans le rapport annuel, à la rubrique du régime collectif de retraite supplémentaire, d'un montant total de 30,2 millions au 31 décembre 2008.

[4] Le parisien du 6 février 2010 : Bientôt des «parachutes dorés» pour certains hauts fonctionnaires ?

[5] Voir article de Marianne.

[6] Voir l’article du Point.

[7] Voir également cet autre article de Marianne.

[8] Dark pools, Hedge fund, Banque de détail et d’investissement, CDS…

[9] La Grèce, victime des hedge funds.

3 commentaires:

Luc a dit…

Je suis peut-être utopiste mais peut-être que la médiatisation de cette émission va réveiller un peu notre sens critique...

Ne serait-ce que pour ne pas subir soi-même ce qu'ont endurés les candidats hier, perdus entre l'envie (le besoin ?) d'obéir et leur conscience.

Anonyme a dit…

Tout à fait, c'est pourquoi je dis "parlons-en !"

Anonyme a dit…

Eh oui.....
tout est calme, dormez en paix, braves gens.

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