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mercredi 26 septembre 2012

Lecture: Re-made in USA

A lire sur le nouvel économiste:

Les multinationales américaines réévaluent leur course à la délocalisation

La publication par General Motors d’un résultat record de 9,2 milliards de dollars arrive à point nommé dans la course à la présidentielle pour Barack Obama. Le renflouement massif par le Trésor américain ressort comme le meilleur actif de son bilan économique, l’encourageant à faire du “re-made in America” l’un des axes majeurs de sa campagne. Esbroufe politicienne en période d’élection ou reconquête en perspective d’une compétitivité industrielle un temps perdue ? Cette possibilité d’une relocalisation d’emplois de Chine vers les Etats-Unis, qui n’est plus aussi inenvisageable, laisse perplexe.

Marqueur politique
“Ce qui s’est produit à Detroit peut être décliné dans d’autres industries [...]. Aujourd’hui il devient plus coûteux de produire dans certains pays comme la Chine.” Par ce discours, le Président américain coupe l’herbe sous le pied de ceux qui fustigent son bilan économique. Alors que 51 % des Américains désapprouvent encore sa gestion de l’économie et 59 % sa gestion du budget et du déficit selon les enquêtes récentes, ce thème offensif et tourné vers l’avenir lui permet de se réconcilier avec le “Corporate America”, rappelant au passage le recul du chômage depuis 5 mois consécutifs.

L’habileté n’a pas échappé aux politiques français, ils jouent des coudes pour s’approprier en pleine campagne le marqueur “made in France”, plus vendeur que celui de la réduction de dette. Cependant, “avant de rechercher la réduction des coûts, les industriels sont guidés par le marché. Ils doivent donc être présents sur le territoire chinois dans les années à venir”, réfute Pascal Colombani, senior advisor chez ATKearney. L’industrie américaine a d’ailleurs perdu des parts de marché dans presque tous les secteurs : aérospatiale et défense, technologies de l’information, équipements de télécommunications, automobile… hormis les services financiers. Alors que les 20 premières multinationales américaines détenaient 33 % de leurs actifs à l’étranger en 1990, cette part est montée à 58 % aujourd’hui. Le pari du 44e Président semble donc osé mais le dernier numéro de la Harvard Business Revue (1) démontre qu’il ne manie pas seulement le marketing politique. La revue décrète la fin de la vogue de l’“outsourcing” et la réévaluation par les multinationales de leur course à la délocalisation.

Perte de compétitivité chinoise
La Chine change. “Quand j’ouvre mon tiroir-caisse je n’arrive pas à trouver les centimes que nous sommes censés avoir économisés”, lance en 2010 Jeff Immelt, PDG de General Electric. Raisons de cette désillusion ? En priorité l’augmentation rapide des salaires. En 2000 le coût horaire chinois moyen dans l’industrie représentait moins de 5 % du coût américain. “Or ces salaires ont progressé de 12 % par an sur les 12 dernières années, auxquels il faut ajouter un renchérissement du yuan de 4 % par an, soit un total de progression de 16 % par an”, constate Pierre Derieux, directeur associé du Boston Consulting Group (BCG), lequel prévoit une “relocalisation” de 3 millions d’emplois de Chine vers les Etats-Unis d’ici à 2020.

Il importe de moduler avec l’augmentation relative de la productivité des chinois par rapport aux américains. « En tenant compte de tous les paramètres, la compétitivité chinoise a perdu environ 5% par an », résume Pierre Derieux. Le coût horaire chinois,écart de productivité inclus, avoisine maintenant les 30% de l’américain. Il atteindra vraisemblablement les 43 % en 2015, la région de Shanghai frôlera les 61 %. Subsiste donc un écart de 39 %. Mais une analyse plus fine change la donne. La main-d’œuvre ne représente que 7 % du coût d’une caméra vidéo, 25 % du coût d’une automobile. 60 % provient des achats de matières premières et le reste de frais divers, de consommables et de taxes qui rééquilibrent la balance.

“L’écart entre les deux rives du Pacifique se réduit à 10 %. Il importe ensuite d’inclure le coût du transport”, remarque Pierre Derieux, pour qui “les industriels ne regarderont plus seulement Shenzhen, mais aussi le Mississipi ou l’Alabama”. Les incitations publiques, les efforts de formation et la moindre syndicalisation dans le sud des Etats-Unis pèseront dans la balance. D’autres facteurs freinent les velléités de délocalisation, comme les coûts de l’immobilier industriel en Chine, les droits de douane, le prix des transports en hausse. La monnaie risque aussi d’évoluer. Le Congrès utilise désormais le terme de “manipulation des changes” pour qualifier la sous-évaluation du yuan, et il y a fort à parier que Xi Jinping subira de fortes pressions pour rétablir le taux de change.

Les risques juridiques, sociaux et administratifs restent une épée de Damoclès. Les fréquents problèmes de supply chain, de délais et de qualité dans les usines chinoises ajoutent au doute. Enfin l’image du “made in USA” permet de mieux vendre à prix égal. La mécanique, l’électronique, le matériel informatique, les pièces détachées pour le matériel de transport… seraient concernés. Le déficit commercial américain vis-à-vis de la Chine se réduirait naturellement de 360 milliards de dollars en 2010 à 260 milliards à la fin de la décennie selon l’étude BCG.

Qualité et fiabilité
Le terme de “basculement” est certes excessif pour ce qui s’appuie encore sur nombre d’extrapolations. “Le mouvement ne va pas s’inverser, mais un rééquilibrage surviendra certainement pour gommer les excès de délocalisations des 15 dernières années”, prévoit Emmanuel Bonnaud, associé senior chez Roland Berger. La logique voudrait que les entreprises industrielles se tournent vers le Vietnam ou l’Indonésie. Mais outre le fait que ces pays n’ont pas la productivité et les infrastructures de la Chine, les industriels vont se poser davantage de questions. Ils ont mûri après avoir vécu beaucoup de désillusions et subi la concurrence croissante des pays émergents.

“Les Japonais commençaient même à délocaliser leurs centres de R&D en Chine. Or, face aux problèmes de propriété intellectuelle, aux coûts pour former et garder les ingénieurs, ils ont entamé un mouvement de retour à partir des années 2004-2005”, observe Pascal Colombani. En matière de manufacture aussi l’analyse se veut plus fine, prenant plus en compte la qualité et la fiabilité. Evidemment les industries “relocalisées” ne reviendront pas comme elles étaient parties, la Chine développant un marché local, l’Europe et les Etats-Unis souffrant de surcapacité chronique. Mais elles chercheront un complément de productivité en Occident. “Ceux pour qui la qualité, la maîtrise de la supply chain, la proximité et l’innovation sont essentielles, à l’exemple de Rossignol, vont faire plus d’arbitrages”, énonce Emmanuel Bonnaud. Une lueur d’espoir pour les Etats-Unis. L’Europe, qui souffre d’un euro fort et d’une main- d’œuvre peu flexible, n’en est pas encore à ce stade.

(1) Harvard Business Review, Special Report “Reinventing America”, mars 2012.
(2) “Made in America, de nouveau. Pourquoi l’industrie va revenir aux Etats-Unis”, BCG, mai 2011.

Par Julien Tarby

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