Nicolas Sarkozy, après la mort de Mohamed Merah tué par une opération du Raid a dressé plusieurs ébauches de mesures sécuritaires en théorie, mais plutôt liberticides en réalité. Parmi elles, la pénalisation des internautes qui consulteraient « habituellement » des sites internet promouvant le terrorisme ou la « haine ». Large programme !
« Désormais, toute personne qui consultera de manière habituelle des sites Internet qui font l'apologie du terrorisme ou qui appellent à la haine et à la violence sera punie pénalement »
Si personne n'est capable de dire comment le Président compte mettre en œuvre ces mesures, elles sont pourtant prévues pour être appliquées « sans délai » d’après le premier ministre François Fillon. Contrairement à ce qui avait été proposé jusque-là, ce ne sont pas les responsables de sites illégaux qui sont pénalisés, ou d’empêcher leur accès, mais de pénaliser la simple consultation d'un site par un internaute. Seul précédant : une loi très similaire existe et vise les contenus pédopornographiques : « Le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition une telle image ou représentation [pédopornographique] ou de détenir une telle image ou représentation par quelque moyen que ce soit est puni de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. ».
Dans ce cadre, pourquoi ne pas agrandir la liste ? C’est bien tout le problème de ce genre de lois. Une fois qu’une liste est créée et que la loi est passée, il est facile d’agrandir les catégories concernées. Pourtant, la limite, et il doit en avoir une, n’est jamais précisée par ce genre de loi. Aujourd’hui les sites de terrorisme et de « haine » (assez vague) sont concernés, demain pourquoi pas des sites incitant à la grève, puis des sites de syndicats ou politiques extrémistes, les bonnes intentions ne manquent pas pour agrandir la liste. La proposition énoncée par M. Sarkozy rendrait, en théorie, la lecture de l'autobiographie d'Adolf Hitler illégale en ligne. Ou se situe la limite ? « On se trompe de cible en s'en prenant à Internet, il y avait du terrorisme avant Internet. Au lieu de criminaliser la consultation des sites, on a plutôt envie de voir que les efforts se concentrent sur les gens qui alimentent ces sites et qui sont responsables d'actes terroristes » a commenté à l'Agence France-Presse Lucie Morillon, responsable du bureau nouveaux médias de Reporters sans frontières. Jusqu’où va-t-on aller sans que les Français disent « stop ».
Attention, notre vie privée et nos pensées sont un patrimoine universel et qui doit rester inaliénable. Ne pas confondre risque éventuel et action réelle. Pourtant, nous n’en sommes pas loin. Est-ce que quelqu’un consulte un site critiquant la police ou le gouvernement n’est pas un site d’incitation à la « haine » ? Les lecteurs sont-ils pénalement sanctionable ? Jamais une démocratie n'a fait adopter ce type de loi. Et il faudra la combattre si elle voit le jour. Car la France, alors, ne serait plus une démocratie, mais un régime autoritaire.
Autres points : les chercheurs, journalistes seront-ils inquiété parce qu’ils ont été voir de tels sites ? Que veut dire la notion « d’habituellement » ? Est-ce une fois par jour, une fois par mois ou une fois par an ? Doit-on comptabiliser des visites sur le même site ou également celles sur des sites jugées comme étant du même type ? Pourquoi ne pas interdire les sites en questions ?
Enfin, techniquement, comment repérer ces visites ? Il n’y a hélas, qu’une solution : le DPI. Avec les logiciels de Deep Packet Inspection qui retracent tous les échanges, quelque soit leurs formats (mail, chat, site web, recherches sur internet...), leurs fréquences et leurs dates afin d'espionner automatiquement et de manière exhaustive et homogène de tous les citoyens d'un pays, on parle alors de « surveillance massive ». Par la fourniture de ces logiciels dont la France est spécialiste via la filiale de Bull AMESYS, nous avons aidé le dictateur libyen à identifier et surveiller ses opposants afin de les arrêter ! Considérés comme une arme de guerre électronique, les logiciels DPI ont un marché évalué à 5 milliards de dollars et ont débuté en 2001. La presse a révélé que le logiciel, vendu à de nombreux pays, dont beaucoup de dictatures, a permis de surveiller de nombreuses personnes et entités (poètes, journalistes, écrivains, historiens, intellectuels, ONG, des groupes de communication comme Al Jazeera ou la banque de Ben Ali...). Certains soupçonnent que le logiciel est également utilisé en France illégalement pour la surveillance quotidienne des Français, la proposition du président permettrait-elle d’officialiser cette situation ?
Dans la longue tradition de certain partit politiques de droite dans le monde (voir l’article Attaque généralisé sur les libertés, les actes isolés de terrorisme sont une bonne occasion pour tous ceux qui veulent contrôler leur peuple de définir encore et encore des lois de plus en plus restrictives et liberticides. La proposition formulée par M. Sarkozy fait écho aux prises de position répétées du président de la République concernant le nécessaire contrôle du Web, qu'il décrivait volontiers à mi-mandat comme une "jungle". Autre point, la proposition du président est évidemment hautement politique et tente de tirer parti de cette triste situation en vue des élections de 2012 qui approchent à grands pas. Mais ne nous trompons pas : déjà en 2005, Sarkozy a fait à peu près des propositions très similaires. La vie politique est un éternel recommencement avec Monsieur Sarkozy… Annonce équivalente aux banlieues qui devaient être passées au « Kärcher » et qui, bien évidemment, ne l’ont pas été. Preuve en est. Peu de chance que cela donne grand-chose de concret donc, sauf d’éventuelles dérives sur nos vies privées.
Lire également Le gouvernement Sarkozy veut censurer internet, France : le décret de l’incroyable flicage du net, Dérive totalitaire, où va la France ?.
1 commentaire:
Merci Eugène, j'adore cet article !
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