Vous voulez nous parler du coût du travail et des charges sociales…
Oui, puisque vous le savez peut-être, on en reparle de nouveau. Le gouvernement et son ministre de l’industrie, Eric Besson, absolument fascinés par le retard de compétitivité de l’industrie française sur l’industrie allemande veulent y remédier et que de bonnes âmes, je veux dire le Medef et des cabinets qui travaillent pour lui, lui proposent dore’s et déjà ses solutions…
Baisser les charges sociales?
Bien sûr! À tout problème, il n’y a qu’une solution : la baisse des charges sociales. Si les entreprises ont des difficulté, c’est parce que le coût du travail est trop élevé, comparez avec la Chine, l’Indonésie ou les Iles Maldives…
Je devine de l’ironie dans vos propos…
Bien sûr. Mais je commencerai, si vous le voulez par le diagnostic tel que le formule COE-Rexecode, l’institut de conjoncture dont les travaux devraient nourrir la Conférence nationale de l’industrie que veut organiser d’ici à la fin mai Eric Besson : “Depuis une dizaine d'années, nous dit-il, la France a "décroché" par rapport à l'Allemagne. Ce décrochage s’explique pour l'essentiel par des politiques opposées de gestion du marché du travail et par une divergence de grande ampleur des coûts et des marges des entreprises.”
Diagnostic sévère…
Oui, mais qui ne repose que sur un seul chiffre : le différentiel d’exportation de la France et de l’Allemagne. En 2000, les exportations françaises étaient de l’ordre de 55% des exportations allemandes. Elles n’en représentent plus aujourd’hui que 40%.
Ce qui veut dire que la France exporte moins…
Ce qui veut dire que notre commerce extérieur est moins dynamique. Ce qui est vrai. Mais pourquoi? Vous devinez la réponse du Medef et de Rexécode : les 35 heures qui auraient augmenté le coût du travail et affaibli les finances des entreprises. Ce qui est une sottise puisque les 35 heures se sont accompagnées d’une diminution des charges sociales, ce qui explique d’ailleurs que beaucoup de patrons ne soient pas si pressés qu’on le dit de les voir supprimées, parce qu’il leur faudrait alors abandonner ces exonérations.
Ce n’est pas sérieux. On a plus l’impression de lire le programme de l’UMP qu’une analyse économique.
Je ne voudrais pas me faire l’avocat du diable, mais on ne peut exclure que la réduction du temps de travail ait eu un impact sur la compétitivité des entreprises…
Mais on ne peut pas tout reprocher aux 35 heures, d’augmenter le coût du travail et de coûter cher au budget de l’Etat. À l’inverse de ce qu’avance cette étude elles ont montré qu’il y avait dans l’économie française des gisements importants de gains de productivité : la preuve, les entreprises qui ont réduit leur temps de travail n’ont pas remplacé tous leurs salariés. Et on n’a pas entendu dire qu’elles avaient diminué leur production.
C’est le raisonnement lui-même qui est vicié. Tout repose sur une comparaison entre les performances du commerce extérieur de deux pays. Mais est-ce que cela a du sens? Si la structure de l’économie des deux pays est complètement différente, leur commerce extérieur évoluera de manière divergente…
Mais les économies de la France et de l’Allemagne sont comparables…
Pas vraiment. Il y a trois différences majeures :
Les Allemands ont beaucoup d’entreprises de taille moyenne, non pas des PME mais des entreprises de quelques centaines ou milliers de personnes, ce qu’on appelle maintenant les ETI, les entreprises de taille intermédiaire, nous n’en avons que très peu,
Les Allemands sont spécialisés sur des productions peu sensibles au coût du travail, c’est beaucoup moins notre cas,
Les Allemands ont des entreprises spécialisées dans la production de machines-outils, de tout ce dont ont besoin les pays émergents pour se développer. Nos entreprises les plus performantes sont spécialisées dans d’autres secteurs : le luxe, comme LVMH ou, dans un domaine voisin, L’Oreal, les services, comme Veolia ou EDF, l’agro-alimentaire comme Danone… qui ne se situent pas de la même manière dans la chaine de production : nous profitons plus de l’amélioration du pouvoir d’achat des Chinois que des investissements de leurs industriels.
Comparer la compétitivité de deux économies n’a donc pas beaucoup de sens, il vaudrait beaucoup mieux comparer la compétitivité d’entreprises comparables. Les ETI, les entreprises françaises de quelques centaines ou milliers de personnes spécialisés sur des niches ou dans des produits de haut de gamme sont-elles moins compétitives que les entreprises allemandes? Voilà la question qu’il faut poser.
Et la réponse?
Mais elles sont aussi compétitives et elles ont d’ailleurs d’aussi bons résultats comme en témoigne leur bonne santé boursière. Ces entreprises ne sont pas forcément connues du grand public mais elles occupent des niches où elles sont très compétitives.
Mais alors quel est le problème?
Mais je l’ai déjà dit : nous avons moins de ces entreprises que les Allemands. Et nous en avons moins parce que celles qui serait susceptibles de le devenir sont bloquées dans leur croissance. Elles ne se développent pas comme elles pourraient sur les marchés extérieurs.
À cause de leur spécialisation?
C’est une explication, mais ce n’est pas la seule. Ce l’est d’autant moins que l’on voit la consommation augmenter dans les pays émergents et notamment en Chine. Ce qui est un bon signe pour nos entreprises qui sont plutôt spécialisées dans ce type de produit. Encore faut-il qu’elles sachent s’installer sur ces marchés. Et c’est là que le bat blesse. Exporter est un métier qui demande des compétences…
Que les Allemands ont et que nous n’avons pas…
Nous les avons, mais les petites entreprises susceptible de se développer rapidement, d’atteindre cette taille critique qui permet de s’imposer sur les marchés internationaux n’y ont pas accès. Les spécialistes dont elles auraient besoin existent bien mais ils sont pour l’essentiel employés dans les grands groupes, dans ces grands groupes très compétitifs qui ont longtemps tiré l’économie française et qui se développent aujourd’hui surtout à l’étranger.
Ce serait donc un problème de compétences…
Une des grandes faiblesses des PME à fort potentiel est qu’elles n’arrivent pas, en France, à attirer les compétences dont elles ont besoin pour construire et consolider leur croissance. Du fait de leur taille, elles ne peuvent pas les former en interne, comme font les grandes entreprises, et elles ont beaucoup de mal à les recruter essentiellement pour des questions de salaires.
Et c’est différent ailleurs…
Aux Etats-Unis, ce problème est réglé par la distribution d’actions qui donne aux cadres qui quittent les grandes entreprises pour entrer dans ces PME l’espoir de s’enrichir. En Allemagne, le mécanisme est différent : les salaires sont définis dans beaucoup d’entreprises par des accords de branche, ce qui réduit les écarts de rémunérations entre petites et grandes entreprises.
C’est une faiblesse traditionnelle de l’économie française que la crise a aggravée : les écarts de salaires entre PME et grandes entreprises se sont beaucoup plus creusés ces dernières en France qu’en Allemagne. Cela n’a rien à voir avec les charges sociales!
Ce qui veut dire que ces PME prometteuses ont plus de mal à attirer des personnels compétents?
Exactement. Le problème n’est pas un coût du travail trop élevé mais un trop grand différentiel entre le salaire versé dans les grandes entreprises et ceux versés dans les PME. D’après l’Observatoire des salaires, l’écart qui était de 9,5% en 2007 s’est creusé de 10% en 2008 pour atteindre 10,9% à ce jour. A compétence égale, le salaire est d’office inférieur dans les petites structures. Ce à quoi il convient d’ajouter les salariés des grandes entreprises bénéficient de plus d’avantages : meilleure couverture mutuelle, crèche, conciergerie d’entreprise, congés supplémentaires, intéressement, participation ...
Pourquoi voulez-vous qu’un ingénieur, le diplômé d’une école de commerce ou un cadre quitte une grande entreprise pour une PME si son salaire doit être plus faible? À cela s’ajoute le fait que notre système scolaire conduit à la concentration des plus diplômés dans les plus grandes entreprises, ce qui est moins vrai en Allemagne.
Et ce qui est vrai de l’exportation l’est de toutes les autres fonctions de l’entreprise.
On est loin des baisses de charges sociales…
Mais bien sûr. La compétitivité n’est pas simplement affaire de salaires et de charges sociales.
Reste que le coût du travail est élevé chez nous et que c’est un handicap dans la compétition internationale.
Sans doute, mais on peut baisser le coût du travail de plusieurs manières. En réduisant les salaires ou les cotisations sociales comme le propose le Medef, mais on peut obtenir le même résultat en jouant sur bien d’autres paramètres, sur la qualité : réduire le rebut permet d’améliorer fortement la compétitivité, ou sur l’organisation. Il serait intéressant, puisque l’on parle de l’Allemagne de comparer la répartition des effectifs dans les entreprises des deux pays.
Ce n’est pas la même en France et en Allemagne?
Je n’ai pas trouvé d’étude récente sur le sujet, mais il semble bien que la structure des effectifs ne soit pas la même, qu’il y a ait chez nous relativement plus de personnel affecté à l’administration, au sens large, qu’à la production. Si tel est le cas, des gains de productivité doivent pouvoir également être obtenus en jouant sur l’organisation, sur les procédures, en les simplifiant, en mutualisant une série de fonctions…
Vous nous dites donc que ce n’est pas en réduisant les cotisations sociales que l’économie française redeviendra plus compétitive…
La réduction des cotisations sociales est une vieille revendication du Medef et des organisations patronales, mais cela ne règle pas le problème majeur qui relève de la structure de l’économie française, de sa capacité à développer des entreprises de taille intermédiaire suffisamment fortes pour s’imposer sur les marchés internationaux.
Baisser les cotisations sociales ne fera qu’aggraver les comptes des organismes sociaux, enrichir les entreprises qui échappent à la concurrence internationale, les sociétés de service, mais ne renforcera pas de manière significative notre appareil industriel.
Il serait beaucoup plus astucieux de réfléchir à une politique industrielle qui nous permette, à l’instar des Allemands, de nous imposer sur les marchés des pays émergents.
Mais comment?
Mais en donnant aux entreprises qui en ont le potentiel les moyens de se développer. Longtemps, l’accès au capital a été un blocage, ce n’est plus vrai, des véhicules financiers existent aujourd’hui qui permettent d’orienter les fonds vers les jeunes entreprises, ils peuvent être améliorés, mais ils existent. L’autre grand blocage est organisationnel : ces entreprises ont besoin pour se développer de compétences en matière de finance, de commerce, de production… qu’elles ne trouvent pas facilement sur le marché. Il faut agir dessus…
Et peut-être faudrait-il aussi réorienter l’industrie vers des produits que demandent les pays émergents…
Certainement. On peut, d’ailleurs, assez facilement cerner les contours des produits qu’il faudrait développer. Il faudrait que notre industrie fabrique des produits :
Peu sensibles au coût du travail puisque le coût du travail est chez nous élevé,
Et difficiles à copier puisque les pays émergents sont devenus maitres dans la copie.
C’est ce qui fait la force de l’industrie allemande, mais aussi des secteurs qui fonctionnent bien chez nous.
L’urgent n’est donc pas de baisser les charges sociales?
Certainement pas : baisser les charges sociales qui ne sont, on ne le répétera jamais assez, que des cotisations sociales ne peut que créer des problèmes pour demain : déficit de la sécurité sociale, de l’allocation chômage, des systèmes de retraite… tous problèmes qu’on résoudra en réduisant les prestations et… en revenant sur les réductions de charge. C’est donc une politique de gribouille. Nous avons une main d’oeuvre chère. C’est comme cela et c’est très bien. A nous d’inventer des politiques industrielles qui nous permettent de rester malgré tout compétitifs. Ce n’est pas impossible. Tout simplement parce qui dit main d’oeuvre chère dit main d’oeuvre qualifiée, compétente. Encore faut-il savoir l’utiliser à bon escient.
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