Lundi une proposition de loi (d’origine UMP évidemment), interdit aux agriculteurs de ressemer les graines issues des cultures de l’année précédente.
Cette loi n’est qu’une transposition d’un règlement européen datant de 1994 ! La raison : les graines protégées par un Certificat d’Obtention Végétale (COV, sorte de brevet Européen) sont le produit de recherches onéreuse en laboratoires et qui ne sont pas rémunérées lorsque les graines sont ressemées. Ainsi sur 5000 plantes ou variétés de plantes cultivées par les agriculteurs, 1600 sont aujourd’hui protégées par un COV. En revanche, ces 1600 représentent 99% des volumes produits. Par ailleurs des études estiment que les agriculteurs ressèment 50% de ce qu’ils cultivent, ces semences sont appelées « semence de ferme » en référence à la longue tradition agricole de la France et ne sont qu’une tolérance par rapport à la loi précédente. Les 50% restants sont en fait déjà interdites d’être ressemées, comme le soja par exemple. Précaution symbolique du législateur : la nouvelle loi interdirait cette pratique ancestrale sauf pour les (touts) petits agriculteurs produisant moins de 92 tonnes, autant dire presque personne en France aujourd’hui.
Cette loi, assez logique en apparence, est faite pour maintenir et inciter les investissements (souvent privés) dans ce domaine. Pourtant, comme souvent la logique est trompeuse et cette loi soulève des questions auxquelles il n’est pas si simple de répondre comme nous allons le voir.
Invasion des semences sous COV
Cette loi souligne l’envahissement des semences COV dans la production française. Parfois cet envahissement n’est pas toujours au bénéfice des consommateurs ou des agriculteurs. Considérons les maladies qui parfois ravagent une variété de plantes dans l’impuissance générale vu l’uniformisation des variétés. Autrefois il était facile dans un tel cas de changer de variété pour affaiblir la diffusion de la maladie. De nos jours, pour l’agriculture, cela constitue un point faible. Le ressemage des semences favorise les variations et aléas génétiques et donc la robustesse des plantes est améliorée. En résumé la nature s’améliore toute seule comme par le passé. Dans le cas des COV, toutes les plantes sont quasiment identiques. Les variations génétiques sont considérées comme des défauts industriels. Cela implique une robustesse moindre à de nouvelles maladies, mais également aux changement climatique ou d’environnement (pourtant de plus en plus fréquents). Si l’on parle des OGM, nous avons d’autres problématiques. Par exemple les OGM qui intègrent des insecticides ont montré que leur emploi systématique a rendu les insectes résistants aux insecticides en seulement 3 ans de production. La nature « sait » depuis des millénaires s’adapter a un changement (comme les pesticides produits par l’OGM), mais a beaucoup plus de mal avec plusieurs changements simultanés. Lorsque toute la planète utilisera les même OGM et/ou COV, nous aurons de gros problèmes et la famine sévira partout. Cela peut paraître futuriste mais pourtant, cette ère n’est pas si lointaine…
Rappelons également que les bénéfices de ces plantes brevetées ne sont pas toujours évidents. Ainsi la promesse des OGM de nourrir toute la planète en augmentant fortement la productivité et donc le coût est très loin d’être atteinte. Pas tant parce que les plantes ne sont pas efficaces mais surtout parce que, comme pour l’industrie pharmaceutique, les entreprises privées travaillent uniquement sur des projets qui rapportent de l’argent et non sur ceux qui bénéficient à tous (sauf si les deux coïncident, ce qui est plutôt rare). Lutter contre la malnutrition, argument classique des films d’entreprise et des plaquettes commerciales du domaine, ne sont que de la poudre aux yeux.
Brevetage du vivant
Mettre un copyright sur le vivant pose de nombreuses questions. Il s’agit en fait d’une privatisation de l’agriculture déguisée. Autrefois les agriculteurs travaillaient entre eux. Aujourd’hui ils payent une sorte de taxe aux semenciers. Les bénéfices des ces semences COV en retours ne sont pas si clairs mais en revanche des risques nouveaux sont apparu comme nous l’avons vu. Dans ce cadre l’agriculteur est complètement dépendant des semenciers. Cela pose question également lorsque les méthodes de ces entreprises ne sont pas conformes à l’éthique comme je le racontais dans un précédant article (Comment les OGM envahissent la France). Il s’agit en réalité d’une privatisation déguisée de l’agriculture et d’une mise sous tutelle des agriculteurs.
Que penser également d’une tendance actuelle qui veut que les entreprises privées qui ont séquencées le génome d’une plante ou d’un animal existant et d’en déduire que de fait la plante et l’animal lui appartient ? Ainsi, la multinationale Monsanto tente d’obtenir des autorités américaines un brevet sur des séquences d’ADN de porcs naturels (non modifiés génétiquement) mais jugés très performant sous prétexte qu’elle a décodé leur ADN… Si cette demande est agréée, des animaux qui sont largement présents dans la nature seront assimilés à la propriété intellectuelle de Monsanto. Les éleveurs du monde entier pourraient donc, dans un avenir pas trop lointain, être obligés de verser des redevances à l’entreprise pour des animaux conçus tout à fait naturellement. Extrapolation : Si Monsanto séquence votre ADN vous leur appartiendrez (sic) Est -ce l’étape suivante ?
Conséquences
Le chiffre de 99% de plantes COV cultivées est déjà effrayant en soi, mais il est modéré par le fait que seulement 50% sont achetées. Cette loi va conforter cette situation en passant à 99% de semences achetées. Est-ce vraiment de que nous voulons ?Il faut savoir qu’actuellement le blé est déjà soumis à cette taxe : 0,5€ par tonne de blé. La loi forcera les agriculteurs à payer aussi pour les 21 autres espèces restantes. Devoir payer pour des semences qu’avant ils ne payaient pas va inévitablement appauvrir encore les agriculteurs et augmenter les prix. Il faut donc savoir que cette loi implique des hausses de prix des aliments de base et encore plus des aliments transformés. Ce sont les consommateurs qui payeront. Du coup cette loi fait le plus mauvais effet en pleine crise économique !
Avec cette loi, même les agriculteurs qui n’utilisent pas de semence COV seront taxés ! C’est une aberration particulièrement remarquable de cette loi.
Se pose la question de savoir comment cette loi sera respectée, si l’exonération des petits agriculteurs est facile à vérifier, s’assurer que aucun gros agriculteur ne trichera est une autre affaire. Il serait bon d’éviter que les entreprises privées ne développent leur propre police des semences comme cela se fait aux États-unis avec les OGM. Car le problème de ces polices, évidemment, sont les dérives. Aux États-unis et dans d’autres pays comme en Inde, des abus ont eu lieu avec pour but de punir ceux qui n’utilisent pas les semences COV en créant de fausses preuves de leur usage illégal. Ainsi des entreprises ont été soupçonnées de semer discrètement des semences commerciales dans des champs n’en utilisant pas. Le but ? Revenir infliger une forte amende à l’agriculteur lors de la récolte en prouvant qu’il a triché et utilisé des semences commerciales sans les payer. Imparable. Le but évidemment est de forcer la main des agriculteurs à utiliser leurs produits. Car, comme par hasard, l’amende était oubliée si l’agriculteur s’engageait à être client de l’entreprise pour sa prochaine récolte. Une sorte de vente forcée scélérate. En Inde il y a eu des vagues de suicides d’agriculteurs pris au piège de ces méthodes. Théoriquement les COV n’autorisent pas ces ‘polices’. Mais comment être certain que la loi n’évoluera pas dans cette direction ?
Bref…
Ainsi, mine de rien, cette loi voulue par l’Europe et votée ce lundi, pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. C’est triste à dire mais les semenciers n’étaient pas si malheureux jusqu’à présent, cette loi va simplement augmenter fortement leur bénéfices et, dans une moindre mesure leur investissement en recherche et développement. D’un autre côté, elle va participer à l’augmentation du prix des denrées de base et favoriser une privatisation des semences et de l’agriculture. Elle ouvre la voie à d’autres domaines que les semences, pour la propriété intellectuelle, ce qui n’est pas sans danger. Est-ce le but d’un pays de favoriser des entreprises privées au détriment de ses ressortissants et de son agriculture ? Pourquoi l’Europe a cédé à aux demandes des semenciers ? Est-on d’accord pour favoriser le brevetage généralisé du vivant ? Voulons-nous vraiment abandonner définitivement notre agriculture aux firmes privées ? Acceptons-nous les risques associés comme la famine mondiale ? Est-ce simplement le bon moment de passer une telle loi ? N’y a-t-il pas de sujets plus urgents en ce moment ?
Signe que le pouvoir est déconnecté de la réalité et accro aux meurettes, au même moment, Nicolas Sarkozy affirmait sur tous les médias, la volonté du gouvernement de maintenir « son opposition à la culture du maïs Monsanto 810 ». Il a notamment invoqué la protection des consommateurs (tiens donc ! Il y aurait des risques associés aux OGM ?) pour justifier l'idée de réitérer l'interdiction. Un pas en avant, deux de coté, un en arrière, allez donc trouver une cohérence dans cette politique…
5 commentaires:
un "joli succès" pour Xavier Beulin, président de la FNSEA et dirigeant de Sofiproteol au capital de plusieurs groupes de semenciers français…
Brevetage du vivant
"Extrapolation : Si Monsanto séquence votre ADN vous leur appartiendrez (sic) Est -ce l’étape suivante ?"
Ça fait bien longtemps que le vivant est breveté : 20% des gènes humains sont brevetés !!!
=> http://www.lesmotsontunsens.com/qui-possede-nos-genes-les-firmes-privees-selon-une-cour-d-appel-us-10940
Bonsoir,
Votre questionnement sur le fond est pertinent : Doit on breveter le vivant ? Mais de grâce renseigner vous avant d'écrire : D'après vous pourquoi 99% des variétés cultivées sont sous COV ? Parce qu'elle sont plus productive, en tendance moins consommatrice d'intrant (azote et phyto) même si des progrès reste à faire. Le progrès génétique sert justement à accélérer les processus naturels. Et pour le faire : il faut de l'argent ! Question complexe ! De mon point de vue le véritable enjeux c'est d'avoir plus de recherche public pour que la création variétale s'adapte plus rapidement aux demandes sociétales (environnement) et soit moins dépendantes aux enjeux commerciaux. Cordialement.
Bonjour,
Bravo pour ce blog !
Felicitations,
A l'occasion, merci de passez voir mon blog! !
Les crises sanitaires révèlent l’impasse dans laquelle nous plonge le productivisme agricole intégré dans la puissante industrie agroalimentaire : non seulement les risques sanitaires ne sont pas maîtrisés mais les problèmes engendrés sont démultipliés. Plus les circuits empruntés par les aliments sont longs et compliqués, et plus la sécurité est mauvaise. Lorsqu’une tomate produite à 30 km de chez vous, parcourt 1500 km avant de finir dans votre assiette, c’est qu’il y a un souci ! Pour obtenir une traçabilité réaliste il est plus qu’urgent d’aller vers des formes de production, de transformation et de consommation localisées et de petite échelle. Une politique agricole ambitieuse doit préserver de manière conjointe, les ressources naturelles, le métier de paysan et la santé de la population....
http://2ccr.unblog.fr/2011/10/31/le-probleme-est-dans-le-pre/
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