A lire sur le Blog de Bernard Girard (Docteur en philosophie et consultant en Management):
Couper dans les dépenses publiques ou pas?
Les dirigeants occidentaux sont aujourd’hui partagés entre deux grandes stratégies pour sortir de la crise : les européens ont fait le pari de l’austérité, de la réduction des déficits et des dépenses publiques, les américains ont fait celui, inverse, de la relance par l’augmentation de la dépense publique et donc des déficits.
L’opposition est franche, massive. Elle a une dimension politique qu’on ne saurait négliger. Le gouvernement britannique, que l’on pourrait présenter comme le plus enragé à couper dans la dépense publique, vient d’être élu par des forces conservatrices soudées dans la volonté de revoir l’Etat social, le gouvernement américain, élu par des forces de gauche, doit compter avec ses soutiens, notamment les syndicats qui n’accepteraient certainement pas une politique trop restrictive.
Mais au delà de cette dimension, qui est naturellement déterminante, ce sont des analyses de la crise et des analyses macro-économiques qui s’opposent et dont je voudrais ce matin vous parler.
On trouve une première opposition entre ceux qui pensent qu’une crise financière peut exploser de nouveau à tout moment et ceux qui pensent que les mesures prises jusqu’à présent et les régulations en préparation devraient nous éviter ce retour de flamme. Pour les pessimistes, que l’on trouve beaucoup en Grande-Bretagne, peut-être parce que ce pays est le site européen de la finance et en connaît mieux que quiconque les faiblesses, les Etats très endettés, d’autant plus endettés qu’ils ont du sauver les banques en 2008 et 2009, ne pourraient intervenir en cas de nouvelle crise, il est donc important d’assainir rapidement les finances des Etats pour leur rendre cette capacité d’intervention. A contrario, il est pour les optimistes surtout urgent de relancer la machine économique, sans trop se soucier de l’endettement des Etats.
Il y a une autre opposition entre macro-économistes, entre, d’un coté, des économistes qui sont souvent, mais ce n’est probablement qu’un hasard, d’origine italienne, comme Alberto Alesina, qui enseigne aujourd’hui à Harvard, Silvia Ardagna, elle aussi de Harvard, Francesco Ciavazzi qui enseigne à Milan, Marco Paganno, qui enseigne, lui à Naples, tous économistes qui militent pour une réduction forte des dépenses publiques, à l’image de ce que vient d’annoncer le gouvernement britannique, et de l’autre, des économistes qui travaillent aux Etats-Unis, comme Paul Krugman ou Olivier Blanchard, qui est aujourd’hui au FMI après avoir longtemps enseigné au MIT, qui sont plutôt favorables à une intervention massive des Etats pour sortir de la crise.
Leur débat qui s’est longtemps déroulé dans les enceintes académiques passe aujourd’hui par les pages éditoriales des grands journaux et celles des sites spécialisés dans la publication d’articles que les chercheurs écrivent à destination d’un public cultivé. Leur opposition porte sur le rôle de la dépense publique et sur la place à faire à l’inflation.
De manière classique, Paul Krugman, dans un article publié en octobre dernier dans le New-York Times, s’en prend à ce qu’il appelle la mode britannique de l’austérité fiscale : British fashion victims, les victimes de la mode britannique. Son argument est somme toute assez simple : la réduction des déficits dans une période de chômage et d’inflation basse ne peut qu’accroitre les difficultés. Quand le gouvernement britannique annonce qu’il va supprimer 490 000 emplois publics alors qu’il y a du chômage dans le secteur privé il va affecter durement la consommation et retarder la reprise. Il faudrait, dit-il, faire exactement le contraire : dépenser de l’argent public pour favoriser la relance des investissements et de la consommation. Ce n’est qu’une fois l’économie remise sur les rails que l’on pourra se soucier d’équilibre budgétaire.
Krugman reprend donc l’argument classique des Keynésiens : des coupes trop sévères dans les dépenses publiques conduisent à une contraction de la demande qui produit du chômage et freine les investissements des entreprises. Conclusion : si l’on veut sortir d’une crise, il ne faut surtout pas que l’Etat coupe dans ses dépenses. L’idéal serait même qu’il puisse mettre la main à la poche même si cela doit entraîner un regain d’inflation. Argument dont on retrouve l’inspiration dans un texte théorique que le FMI et son économiste en chef, Olivier Blanchard, ont publié en juillet dernier.
Ce texte, Rethinking macro economic policy, est important parce qu’il signale une évolution de la position des économistes officiels, au moins de ceux du FMI. Il comprend deux parties :
d’abord un mea culpa des économistes, de ce qu’on appelle les macro-économistes. Nous n’avons pas été, disent-ils en substance, été assez attentifs, nous avons trop facilement cru que nous avions compris comment fonctionnaient les économies ;
Et, ensuite une révision des thèses orthodoxes sur l’inflation que l’on trouve dans une des conclusions de ce texte qui nous explique au fond que des politiques visant à réduire l’inflation à zéro privent le politique de l’arme monétaire. Pas question que le taux d’intérêt tangente le zéro de le baisser pour, de manière classique, relancer l’activité.
Face à ces positions, on trouve ceux que j’appelais tout à l’heure, pour simplifier outrageusement, les Italiens pour lesquels il en va tout autrement. Leur raisonnement est tout différent (voir, par exemple, Alesina, Adagna, Large changes in fiscal policy : taxes versus spending, 2009). Ils disent, d’abord, qu’on a plus de chance d’atteindre l’équilibre budgétaire en réduisant les déficits qu’en comptant sur la croissance. Ce qui n’est guère surprenant. Ils assurent, ensuite, ce qui est plus étonnant que la réduction de la dépense publique n’est pas forcément un obstacle à la croissance. Et ils avancent deux grandes raisons.
Les dépenses publiques, nous disent-ils d’abord, augmentent le coût du travail et réduisent les bénéfices des entreprises, ce qui veut dire baisse des investissements. Ils ont calculé qu’une augmentation de 1% de la dépense publique entraînait une baisse de 0,15% du poids des investissements dans le PIB, ce qui conduit en 5 ans à une réduction de 0,74% de ceux-ci. Cet effet, disent-ils, est renforcé lorsque cette augmentation des dépenses publiques est surtout le fait de l’augmentation des salaires des fonctionnaires, ce qui est logique : l’augmentation des salaires de fonctionnaires entraîne en général une augmentation des salaires du secteur privé.
Ensuite, nous expliquent-ils, les réductions de dépenses publiques n’ont pas l’impact qu’on dit sur les investissements. Ils sont là en totale contradiction avec les keynésiens. Leur raisonnement met en avant les anticipations des acteurs économiques. Les coupes dans les dépenses publiques dans les périodes difficiles, comme celle que nous traversons actuellement, sont, disent-ils, un signe que le gouvernement est 1) décidé à revenir à l’équilibre budgétaire et 2) déterminé à réduire la pression fiscale, l’un allant bien sûr avec l’autre. Tout cela incite, disent-ils, les agents économiques à investir.
Il y a là, au fond, deux idées dans leur raisonnement. Selon la première, moins d’impôts veut dire que les investisseurs tirent un meilleur retour de leur investissements et ont donc plus intérêt à investir. La seconde, un peu différente, est que ces politiques de réduction des dépenses diminuent l’incertitude des agents économiques : ils savent que le pouvoir politique va tout faire pour réduire les impôts. Il y a réussira plus ou moins, mais la tendance sera dans ce qui est, à leurs yeux, le bon sens.
On peut s’accorder sur ces deux idées : il est vrai qu’un taux d’imposition trop élevé sur les bénéfices tout comme un trop grande incertitude sur l’imposition à venir peuvent freiner l’ardeur des investisseurs. Faut-il en conclure que les coupes dans les budgets publics sont la meilleure solution pour relancer aujourd’hui l’activité? Le raisonnement que l’on retrouve chez de nombreux économistes allemands est au fond assez simple : grâce aux baisses d’impôts, l’argent que le secteur public ne dépense pas est réinjecté dans l’économie privée qu’il dynamise et dont il relance la croissance. Soit! Mais un investisseur, industriel, financier, se détermine-t-il exclusivement en fonction des taux d’imposition? Non, bien sûr que non. Il regarde aussi les taux d’intérêt. Si ceux-ci sont trop élevés, il n’investit pas. Ce qui donne à la banque centrale une arme quand ceux-ci sont élevés: elle peut les réduire pour justement inciter les agents économiques à investir. Cette baisse des taux peut alors compenser les effets négatifs d’une baisse de la dépense publique sur l’activité.
Mais quand on est, comme c’est aujourd’hui le cas, dans une période de taux d’intérêt très bas, qu’on ne peut donc plus les baisser, les coupes dans les dépenses budgétaires ne peuvent qu’avoir des effets négatifs. La baisse de la pression fiscale a peu de chance de compenser la baisse de la consommation. Dit autrement, ce n’est pas parce que les entreprises paieront peut-être un peu moins d’impôts demain qu’elles vont oublier que les 490 000 fonctionnaires dont le gouvernement britannique veut se séparer sont autant de consommateurs qui réduiront leurs dépenses s’ils ne retrouvent pas immédiatement un emploi.
Tout cela reste naturellement un peu théorique et l’on aimerait pouvoir vérifier ces thèses sur des exemples concrets. Ceux que j’ai appelé les Italiens s’appuient sur plusieurs articles, notamment sur un papier de Giavazzi et Pagano publié en 1990 (Can severe fiscal contractonsbe expansionary? Tales of two small countries, NBER), qui analyse les expériences de l’Irlande et du Danemark. Ces deux pays, comme beaucoup d’autres à la même période, s’étaient trouvés dans les années 80 avec une dette publique importante et des taux d’intérêt élevés. Et il semble que la réduction de la dépense fiscale ait précédé une période d’expansion. Mais ces analyses sont contestées par Paul Krugman et d’autres qui leur reprochent, notamment, de ne pas tenir compte de l’effet taux d’intérêt dont je parlais à l’instant. Et l’on entre ensuite dans des discussions techniques sur les données retenues dont je vous ferai grâce.
Derrière ces discussions, plane l’ombre de l’inflation dont certains redoutent le retour mais que d’autres accepteraient sans trop d’inquiétude. On sait ce qu’a coûté la lutte contre l’inflation dans les années 70, et beaucoup ne veulent surtout pas la voir revenir. Mais de bons économistes y voient une manière de résoudre une des difficultés que soulignaient Alesina et ses collègues quand ils mettent en avant les risques d’une augmentation des coûts salariaux.
Ces difficultés de trancher entre deux politiques si radicalement différentes n’est pas sans poser de problème. On attendrait d’une discipline scientifique qui prétend conseiller le prince un peu plus de certitudes sur des sujets de ce type. Or, on a le sentiment d’un certain désarroi. La crise a fait tomber les certitudes les mieux assises. Et si l’économie n’est pas capable de donner de conseils aux politiques, on ne peut que s’inquiéter. Est-ce que cela ne veut pas tout simplement dire que l’économie n’est souvent utilisée que pour justifier des positions décidées par les politiques pour de tous autres motifs? Les économistes ne seraient alors que des avocats spécialisés dans l’art de trouver des arguments pour convaincre cette partie de l’opinion qui attend des politiques autre chose que la poursuite des intérêts particuliers. Ce qui est une conclusion un peu décourageante.
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